Face aux enjeux de survie liés au changement climatique, beaucoup de questions nous taraudent. Est-il trop tard ? Comment agir à notre échelle ? Combien de temps nous reste-t-il ? Qui croire ? Entretien-vérité avec Antoine Lebrun, directeur général de WWF Belgique.

Photo portrait d'Antoine Lebrun, directeur général de WWF Belgique.

Pensez-vous que la population prend enfin la mesure de l’urgence climatique ?

Il devient difficile de nier l’évidence. Selon moi, il existe deux réalités différentes. La première est qu’aujourd’hui une très large majorité du corps scientifique et de la population croit en la réalité du changement climatique et dans le fait qu’il soit d’origine humaine. C’est déjà un énorme pas en avant, car, il y a dix ans à peine, des ministres climatosceptiques étaient au pouvoir dans notre pays.

Ce qui a provoqué cette prise de conscience, ce sont des événements anormaux comme les incendies à répétition en Californie, les canicules interminables en Australie ou tout simplement des mois d’été à plus de 30 degrés en Belgique. Les gens vivent en direct les conséquences du réchauffement climatique. Cela fait des décennies que les scientifiques prédisent ce qui arrive. On est passé de pronostics à des événements concrets.

L’autre réalité, c’est celle de la perte de la biodiversité. On est très en retard sur cette prise de conscience alors que les chiffres sont tout aussi alarmants, si pas davantage. Depuis 1972, nous avons perdu deux tiers des populations animales et nous allons vers des pertes de 70 % d’ici 2020. Dans la plupart des cas, elles ne sont pas réversibles. Pourtant, toutes les espèces sont interconnectées et la disparition massive de populations animales et de leurs habitats peut avoir des conséquences sur notre propre survie. 

Pourquoi avoir laissé les choses aller aussi loin avant de s’en inquiéter ? 

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette inaction. Tout d’abord, le problème du réchauffement climatique ne peut être réglé qu’à l’échelle globale. Même si la Belgique arrêtait du jour au lendemain d’émettre du CO2, cela ne changerait rien. Il faut que tous les pays du monde fassent un effort, or, aujourd’hui, aucun organe de gouvernance mondiale n’existe. Il y a des tentatives via les COP (qui sont de grandes conférences internationales sur le climat) mais il a fallu attendre la COP 21 pour que les pays s’accordent ne fut-ce que sur un objectif commun. La mise en place, c’est encore autre chose.

Ensuite, dans les années 80, toute une partie du monde était encore très pauvre. Aujourd’hui, elle se développe et c’est une bonne nouvelle de voir la pauvreté reculer. Seulement, ces personnes veulent à leur tour vivre comme les Européens ou les Américains et on est face à un problème de disponibilité des ressources. Nous devons tous revoir nos modes de vie et apprendre à mieux partager les ressources, car la population mondiale ne cesse d’augmenter.

Enfin, pendant beaucoup trop longtemps, on a dissocié le développement économique, du politique et du social. Nos valeurs se sont basées sur le profit et l’argent. Si on réunit tous ces facteurs, nous obtenons un cocktail explosif.

Êtes-vous parfois découragé face à l’immensité du combat que vous menez ? 

Je comprends l’inquiétude des gens. On a perdu beaucoup ces dernières années et la planète est en danger. Du moins, une planète vivable pour nous. Mais ce n’est pas trop tard et se lamenter sur ce qu’on a perdu et dire que l’homme est mauvais ne sert à rien. Ce qui est fait est fait, mais on peut encore faire en sorte que le monde que nous allons léguer soit un endroit où il fait bon vivre. 

Quelle est votre plus grande crainte ? 

Que l’on ne saisisse pas la fenêtre d’opportunité de douze ans – selon les scientifiques – pour arrêter les émissions de carbone telles qu’elles sont produites aujourd’hui. Si on n’agit pas, l’augmentation de la température sur terre va générer d’énormes conflits pour le partage de ressources basiques telles que l’eau ou la nourriture. 

Qui a concrètement aujourd’hui le pouvoir de faire changer les choses ? Le peuple ? Les politiques ? Les lobbyistes ? 

Seul, personne n’a tout le pouvoir. Il faut que tout le monde s’accorde sur un nouveau monde. On a pas le temps de se disputer. Les gens doivent comprendre que le modèle actuel ne fonctionne plus.

On consacre plus d’argent aux choses qu’aux gens. On est face à une frénésie de la consommation qui ne mène nulle part. Il est important de recréer du lien social et de favoriser d’autres formes d’économie. 

Comment peut-on de façon concrète participer au changement au quotidien ? 

Le geste le plus simple et le plus impactant, c’est de diminuer sa consommation de viande de moitié. L’élevage est le premier vecteur de déforestation puisque les animaux sont nourris avec du soja cultivé principalement en Amérique du Sud. Sans parler du CO2 émis par le transport.

Ensuite viennent les modes de déplacement. Il ne faut pas être environnementaliste pour comprendre qu’il faut faire le choix de se déplacer différemment. En privilégiant le train à l’avion et en délaissant la voiture pour le vélo pour de petits trajets. Il est tout à fait possible de réduire fortement son empreinte sur la planète tout en vivant aussi bien et en étant en meilleure santé.

Tout dépend d’où l’on place ses valeurs et ça sera mon troisième point. Il faut se questionner sur ce qui compte vraiment, sortir de nos modèles actuels et aspirer à une vie plus douce, plus agréable.

Retrouvez plus d’infos sur les combats menés par le WWF ainsi que des documents pédagogiques pour devenir acteur du changement sur wwf.be.