La première promotion de jeunes designers issues du partenariat entre l’Académie Libanaise des Beaux-Arts et La Cambre vient d’être diplômée.
C’était un défilé, mais c’était la rencontre de deux cultures de mode, porteuse des ambitions et des espoirs d’une toute nouvelle génération de créateurs. Le Liban porte une tradition de robes spectaculaires à pierreries et broderies, la Belgique change le visage de la mode internationale depuis les années 80, avec une recherche radicale sur les volumes et une épure complexe.
Le département « Mode » de l’Académie Libanaise des Beaux-Arts, initié en collaboration avec La Cambre en 2015, vient de diplômer 4 jeunes créatrices.
Émilie Duval, directrice de cette nouvelle école, diplômée de La Cambre, qui a travaillé chez Kenzo, Balenciaga, Maison Martin Margiela et Dior, analyse que « cette première promotion révèle une énergie galvanisante chez les étudiants, qui trouvent leur manière de manifester les changements dans la société, de façon positive et constructive. Ils s’expriment sur des questions de genre, témoignent d’envies d’ouverture. Cette nouvelle vague de créateurs libanais insuffle des influences plus variées, tout en portant attention à l’héritage des générations précédentes, pour s’inscrire dans une évolution, et non dans une rupture. Leur approche du style est respectueuse, c’est une transition douce, mais nécessaire. Ils témoignent d’une réaction aux problématiques qu’ils rencontrent, tout en construisant sur des fondations existantes. C’est beau de voir l’évolution de la société à travers la mode, de manière très directe ».
L’objectif ?
Développer une mode libanaise à portée internationale, moderne et transversale. Permettre aussi aux maisons de création de recruter du personnel qualifié, formé sur place. André Bekhazi, doyen de l’ALBA, s’est tourné vers La Cambre notamment parce qu’il existait une convention de partenariat entre les départements d’arts visuels de ces deux académies : « on a cherché parmi différentes écoles pour initier cette collaboration, et à La Cambre, créativement, on s’est tout de suite sentis chez nous ».
Après des dizaines d’allers-retours des professeurs de Bruxelles (Pierre Daras, Maylis Duvivier, Steve Jakobs, et Tony Delcampe, directeur de l’atelier mode de La Cambre) pour former l’équipe pédagogique de Beyrouth, 4 élèves ont livré leur vision de la mode libanaise contemporaine. Une collection hommes qui revisite le tartan à la mode oriental et « gender fluid », et des propositions pour femmes, qui s’exercent à la construction subtile des silhouettes par les superpositions, une revisite du sportswear et du tailoring.
Le défilé qui a eu lieu dans l’atrium de l’Académie la semaine dernière a mobilisé des centaines de spectateurs, curieux, ouverts et enthousiastes. Au pays mode d’Elie Saab, Zuhair Murad et Georges Chakra, l’influence belge a créé un choc stylistique, positif et très joyeusement accueilli.
Tony Delcampe coordonne ce projet ALBA depuis quatre ans, et souligne que « l’objectif était d’ouvrir une école pour permettre au Liban de poser un nouveau regard sur la question de savoir pourquoi aujourd’hui, on fait des vêtements. Il s’agit de mettre ces étudiants sur une voie de réflexion différente, qui s’ancre dans un système de mode contemporain ».
Une culture du vêtement qui s’ouvre au monde en même temps que la société libanaise,
selon le designer Rabih Kayrouz, dont les créations sont en ligne avec le style moderne de l’école, qu’il parraine : « il se passe des choses à Beyrouth, et c’est le moment de mettre en valeur la richesse culturelle du Liban, pour promouvoir une identité forte. En matière de mode, beaucoup de voies ont déjà été explorées, et on doit continuer de transmettre de l’émotion. Il faut qu’un créateur ouvre ses yeux et ouvre son cœur. La dimension esthétique ne doit pas être le premier objectif : si on est sincère, le résultat est de toute façon beau ».
Pour montrer leurs collections, les étudiantes ont également produit des lookbooks, précieux pour diffuser leur univers, en organisant un shooting intergénérationnel : les mannequins, de tous âges, affirment cette volonté de faire grandir la mode libanaise sans faire table rase de l’héritage.
Emilie Duval en partenariat avec La Cambre n’en est qu’au début de la construction de ces ponts, et estime avec humour qu’il est temps de « sortir la mode de sa boîte glamour dorée sur tranche ! Ces quatre jeunes filles sont des pionnières, qui s’inscrivent dans un nouveau processus de conception de la mode au Liban ». Ce n’est pas exactement la fin de la « robe de princesses », simplement une nouvelle ère de narration moderne, internationale, et ancrée.
Lire aussi : La Cambre Mode[s] à Beyrouth