De l’arrière-pays sauvage de l’Afrique du Sud à la ville cosmopolite du Cap, nous sommes sortis des sentiers battus lors d’un road-trip et d’un safari nocturne. Une constante dans ce pays de contrastes : la pénurie d’eau. Bienvenue dans un hot spot du changement climatique.
C’est la première fois que je me rends en Afrique du Sud et je suis déjà découragée alors que je viens à peine de monter dans l’avion. C’est mon voisin, qui part en safari dans le parc national Kruger. Que vais-je donc chercher dans le Grand Karoo, cette vaste étendue semi-désertique au nord du Cap ? Comme si j’allais voir des éléphants et des girafes à cet endroit… Il m’annonce que je vais devoir me contenter de springboks, de bubales roux, de koudous et, avec un peu de chance, d’un suricate, pendant qu’il prendra des photos mémorables des big five. Je sors de mon sac un livre consacré au parc national du Karoo et me console en me disant que le vervet, le rat fouisseur à queue courte et le rat-taupe africain sont aussi des animaux intéressants. Petits, mais intéressants.
Mon guide Machiel vient me chercher à l’aéroport du Cap. Son nom a des consonances néerlandaises et il parle afrikaans. Je suis donc en bonne compagnie car cette langue est relativement compréhensible pour la petite touriste flamande que je suis. Pendant une semaine, Machiel m’accompagneras à travers le Grand Karoo, une région que nous atteignons depuis Le Cap en passant par le Petit Karoo et la chaîne de montagnes du Swartberg. J’avoue directement que j’aime jardiner et que j’ai un faible pour les plantes sud-africaines comme l’agapanthe, l’arisème petit-prêcheur et la plante ananas. Le Grand Karoo est un véritable paradis pour les succulentes, ces plantes qui stockent l’eau dans leurs tiges charnues, l’aloé véra en tête. En route vers le village de Matjiesfontein, où nous passerons notre première nuit, Machiel me montre un aloès en fleur. La fleur nationale d’Afrique du Sud est la protea, une sorte de fynbos dotée d’une grosse fleur rose piquante. Machiel a une protea tatouée sur l’épaule, j’ai clairement affaire à un patriote.
ARISÈME PETIT-PRÊCHEUR
À Matjiesfontein, je suis frappée par le fait que les aloès du jardin du Lord Milner Hotel sont affreusement desséchés. Et absolument aucune trace de mes arisèmes petit-prêcheur chéries. Dans les arbres, j’aperçois des nids en forme de boule dotés d’un trou à la base. Il s’avère que ce sont des nids de tisserins du Cap, bref des nids d’oiseaux. “Les serpents ne peuvent pas les atteindre”, m’explique Machiel en me souhaitant bonne nuit. Serpent ou pas, je m’endors paisiblement.
Le lendemain, nous prenons la direction de Laingsburg, une petite ville qui a subi de graves inondations en 1981. Le Flood Museum montre les ravages provoqués par l’eau à l’époque : une ville engloutie et plus d’une centaine de morts. Ironie du sort, plus une goutte de pluie n’est tombée à Laingsburg depuis un an. En raison du réchauffement climatique, l’Afrique du Sud est aux prises avec une grave pénurie d’eau. À Laingsburg, l’eau est rationnée : la durée maximale d’une douche quotidienne est de 90 secondes. Il est obligatoire de réutiliser l’eau de son lave-linge pour nettoyer sa maison. Et l’eau du bain – une fois par semaine et par famille – est récupérée pour arroser les plantes. Est-ce le sort qui nous attend si les scénarios apocalyptiques d’Anuna De Wever et compagnie se réalisent ?
Nous entrons dans le parc national du Karoo à la tombée du jour. Machiel montre du doigt les babouins qui ramassent des cannettes de coca jetées dans la nature et les portent à leurs lèvres. Il me dit : “Ce sont des animaux intelligents. Je connais un gardien de pont qui a appris à un babouin à faire des allées et venues pour qu’il puisse faire la sieste, ha ha !” Le braai, version sud-africaine du barbecue, auquel nous nous essayons ce soir-là dans le parc naturel, attire également des babouins curieux. S’ils ne s’aventurent pas jusqu’à nos tables, ils fouinent néanmoins dans quelques sacs à dos. Les nombreux panneaux publicitaires pour des droëwors (saucissons secs) et du biltong (agneau séché) dans les stations-services en bord de route ne laissaient guère planer le doute : le Grand Karoo est un enfer pour les véganes. Heureusement, je ne le suis pas et mon agneau grillé du Karoo est un délice. Pas étonnant : les animaux se nourrissent du romarin sauvage qui pousse en abondance dans le Karoo, si bien que leur viande s’automarine.
Voici venu le moment de mon safari nocturne ou l’occasion de prendre ma revanche sur mon voisin dans l’avion. Notre jeep progresse dans l’obscurité à travers le parc national du Karoo. Avec un projecteur, le guide du parc fouille les plaines et les buissons à la recherche d’un regard qui s’éclaire. Et effectivement, des bubales roux, des springboks et même des zèbres nous regardent avec surprise. Cette nuit-là, le ciel sud-africain est bien dégagé et parsemé d’étoiles scintillantes. Je pense à toutes les personnes que j’ai perdues et j’espère qu’elles se réjouissent avec moi : j’aurai quand même aperçu un zèbre dans le Grand Karoo.
Les jours suivants, nous roulons dans l’arrière-pays authentique de la province du Cap-Occidental, traversant des villages du Karoo qui ne voient jamais de touristes. Dans une petite école de la localité perdue au milieu de nulle part de Nelspoort, des dizaines d’enfants font la queue pour leur repas chaud de midi, qu’ils mangent en marchant pieds nus dans la cour de récréation. Le directeur de cette école noire est également le guide d’un site historique local. Il nous montre des dessins rupestres réalisés par des Bochimans : des tortues, des springboks et même, selon lui, des vaisseaux spatiaux et des extra-terrestres. Blague à part, ce lieu tranquille a quelque chose de mystique. Les deux écoliers que le directeur souhaite voir devenir guides se déplacent comme des springboks parmi les rochers. Ils nous conduisent au “piano bochiman”, une grande pierre sur laquelle leurs ancêtres jouaient en quelque sorte d’un instrument. Le directeur de l’école nous explique que ses deux enfants-guides viennent de familles à problèmes et qu’il veut les protéger de la dépendance – l’alcoolisme est un problème majeur dans l’arrière-pays africain.
FANFARE NOIRE
Je le constate également à Murraysburg, où les propriétaires blancs de notre Bed & Breakfast oscillent entre paternalisme et charité. Ils organisent spécialement pour nous un concert d’une fanfare d’enfants noirs. Dans le sillage de celle-ci, la population noire locale : des enfants vêtus d’habits miteux, des personnes âgées le regard hébété. Le soir, la “salle des trophées” du B&B, où les hôtes peuvent se détendre entre quatre murs décorés de crânes cornus et de têtes de zèbres ou de koudous naturalisées me glace. Le coffre-fort dans lequel je peux déposer mes objets de valeur s’avère d’ailleurs être une armoire à fusils. Le regard que me jette le zèbre empaillé au mur me rend triste.
L’Afrique du Sud implique inévitablement un choc culturel. Bien que l’apartheid ait été aboli, la “séparation des races” est toujours de mise dans la répartition du travail : les propriétaires fonciers ou les patrons d’entreprises sont blancs, les travailleurs noirs. Et les descendants des Néerlandais qui se sont installés ici il y a des siècles restent très religieux. Avec beaucoup de cynisme, Mark Twain a écrit en 1897 à leur sujet qu’ils ne se laissent appâter que par deux choses : le biltong ou la bible. Et en effet, les enfants de la famille aux lointains ancêtres néerlandais qui m’accueille avec hospitalité à Grootdriefontein, une ferme autosuffisante (ils y élèvent des moutons mérinos et des chèvres angora), suivent un enseignement à domicile “parce que telle est la volonté de Dieu”. Ces mêmes enfants me font une peur bleue le soir lors du braai dans la nature en délogeant des scorpions tapis sous des pierres. Parce que telle est la volonté de Dieu.
ÉTRANGE OASIS
Ma dernière étape dans le Grand Karoo est Prince Albert, une ville très développée. La Karoo Weavery fabrique et vend de magnifiques tapis en mohair réalisés avec de la laine de chèvre angora. Ils auraient leur place dans une vitrine de la Cinquième Avenue à New York. Ils ne rentrent pas dans ma valise, mais il est possible d’en commander sur le site web. Dans la laiterie locale, je déniche pour une bouchée de pain une peau de mérinos blanchie écologiquement. “L’Afrique du Sud est un hot spot du changement climatique”, titre en gros caractères un journal local. L’article évoque des vignobles desséchés et des feux de forêts dévastateurs, mais ce désastre climatique paraît bien loin dans la vallée verdoyante où je visite à midi les oliveraies d’O for Olive et termine par un lunch dans ce paradis vert. Je suis ici sur une terre fertile. Le paysage du Cap-Occidental est une étrange alternance d’oasis de verdure et de lieux totalement desséchés.
Je remarque les ravages causés par les fameux incendies de forêts au cours de l’après-midi, alors que je descends le col Swartberg en VTT. À divers endroits, des buissons entiers de fynbos sont complètement noircis par le feu. Selon Machiel, tous ces incendies – souvent causés par la foudre – contribuent également à la reproduction de sa chère protea. “Les capsules de graines sont dures et le feu les aide à s’ouvrir”, m’explique-t-il. Je ramasse une tige de protea noircie en guise de souvenir. Mais avant de regagner mes pénates, je dois prendre un vol intérieur pour Le Cap.
SIDE-CAR RÉTRO
J’ai 24 heures pour me défaire de la vie paysanne du Grand Karoo. Dans ma chambre du spacieux Table Bay Hotel sur le Waterfront, je m’allonge sur un lit recouvert de draps blancs impeccables et amidonnés. Il est temps de prendre un bain pour me débarrasser de la poussière du Karoo et tester mes nouveaux produits de beauté Africology. Toutefois, à en croire la petite affiche dans la salle de bains, même cet hôtel de luxe fait des économies d’eau. Ce sera donc une douche rapide. J’enfile ensuite une tenue de soirée décontractée et me rends au bar sur la plage Grand Africa, où je savoure un cocktail et des calamars grillés, les pieds dans le sable, entre des guirlandes lumineuses. Après une semaine d’un régime à base d’agneau séché et de viande cuite au braai, un repas aussi léger fait plaisir, vous pouvez me croire.
La vraie surprise culinaire du Cap m’attend le lendemain au restaurant 4Roomed eKasi Culture d’Abigail Mbalo, ancienne finaliste de Master Chef Afrique du Sud. J’y arrive avec style : dans un ancien side-car des années 30, de l’entreprise Cape Sidecar Adventures, à bord duquel je découvre également le littoral du Cap, avec en prime une vue sur la montagne de la Table. Le restaurant est situé dans le township de Khayelitsha. C’est un lieu où les locaux comme les touristes peuvent découvrir une “cuisine de township” revisitée. On m’y sert de la pap, une polenta version sud-africaine accompagnée de légumes colorés et d’un fabuleux dressing. Le serveur fait de son mieux pour m’épater avec les “clics” du xhosa, la langue du regretté Nelson Mandela. Abigail veut installer des jardins sur les toits du township, pour que ses habitants réapprennent à cultiver des légumes. Elle a toutefois conscience que le manque d’eau risque bien de contrecarrer ses plans. “Mais nous avons surmonté tant de choses en Afrique du Sud”, conclut-elle avec optimisme.
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Traduction Virginie Dupont