Raphaëlle Bacqué est journaliste, politique notamment. Il fallait bien une grande reporter au Monde pour s’attaquer à la personnalité la plus médiatique et la plus secrète de la mode. Pour savoir tout ce que vous n’avez jamais osé demandé sur Karl Lagerfeld.

Elle a sorti en 2012 chez Albin Michel un ouvrage à propos du couple Strauss-Kahn, s’est plus tard immergée dans l’univers des communautés de Trappes. Elle est la première à sortir une biographie de Kaiser Karl – il n’en existait aucune autorisée jusqu’à présent – après une enquête de plus de deux ans, menée par cercles concentriques, au sein de son entourage et dans les villes de son enfance, Hambourg et ses environs. “J’ai beaucoup voyagé grâce à lui, et fait des recherches historiques approfondies. Sur la mode, sur le Paris d’après-guerre, sur l’émergence du mouvement homosexuel”. Après dix mois d’une approche pas à pas, Karl Lagerfeld a permis une rencontre.

La seconde phase d’écriture du livre a eu lieu après sa mort : “j’ai rappelé beaucoup de gens, qui soit n’avaient pas voulu parler, soit m’avaient servi un discours lénifiant. C’est ça aussi le pouvoir : être craint.” Lorsqu’elle a interviewé Pierre Bergé, sa volonté d’écrire sur Karl Lagerfeld l’a énervé. Il a pourtant accepté de parler de Jacques de Bascher, le grand amour de Lagerfeld, amant de Saint-Laurent. L’autre prix de l’influence, c’est rivalité.

Raphaelle Bacqué © samuel kirszenbaum

Raphaelle Bacqué © samuel kirszenbaum

Pourquoi cet intérêt pour les personnages énigmatiques ?

“Ils présentent des ressorts romanesques. Malgré une immense notoriété, ils sont mondialement reconnus, mais au fond, presque personne ne les connaît vraiment. Ils créent leurs légendes. C’est cette dimension qui éveille ma curiosité. Je m’intéresse au pouvoir, la manière dont il transforme, dont il isole. L’influence de Karl Lagerfeld dans l’industrie de la mode est évidemment considérable. Il a traversé le siècle. En enquêtant sur sa vie, je n’ai pas été déçue : plus je le découvrais, plus il me passionnait”.

Karl aurait-il aimé ce livre ?

“Je crois. Il était touchant par son contrôle de toute chose, sa réussite et sa dureté. Il affichait un mépris certain à l’égard des autres, cultivait un élitisme violent. Il n’était pourtant ni un saint, ni un diable. Il a régné sur la mode, avec la solitude qui va avec, mais n’a jamais aimé son surnom de « Kaiser »”.

Comment s’approche-t-on si près de la légende ?

“J’ai tout lu sur lui. Toutes les interviews. Il en a accordé des milliers, où il parlait abondamment de lui-même, en réinventant sa propre histoire à chaque fois. Il se contredisait sans arrêt, c’est la première chose qui m’a frappée. Autre signe de sa puissance, il a pu imposer sa vérité”.

Quelle était sa plus grande force ?

“Karl a compris et survécu à ce moment où la mode, d’artisanat, est devenu une industrie. Tant d’autres y ont perdu leur nom, leur fortune, et leur raison. Lui en revanche était un fils d’industriel. Il comprenait l’économie. Il a connu la guerre, des histoires d’amour, une carrière exigeante, la réussite, l’égoïsme, voire la cruauté. Je me suis intéressée au décalage entre l’histoire fabriquée et la réalité, la manière dont on peut dominer sa vie et son image”.

Sa grande blessure aura sans doute été de ne pas être reconnu comme un créateur précurseur, à l’instar de Saint-Laurent. Il a été un génie, sous le nom de quelqu’un d’autre.

Le livre dévoile des secrets, mais Karl en a emporté quelques-uns avec lui.

Kaiser Karl, Raphaëlle Bacqué

Kaiser Karl de Raphaëlle Bacqué chez Albin Michel

Je le veux !

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