Dans son livre « Vigneronnes », la Belge Sandrine Goeyvaerts célèbre 100 femmes qui font la différence dans le vin.

« La seule façon d’avoir un vin féminin, ce serait de faire mariner des ovaires dans une cuve. Sinon, ça n’existe pas », lâche Sandrine Goeyvaerts au téléphone, avec la gouaille attachante qui la caractérise. D’autres qualificatifs ont été utilisés pour dresser le portrait de cette caviste, journaliste et autrice belge, installée du côté de la Province de Liège : « Meilleur sommelier junior de Belgique », puis « Homme de l’année » selon la « Revue du vin de France ». Pourtant à bien y regarder, Sandrine est une femme. Une sommelière — accord féminin. « Quand j’ai commencé à travailler dans le monde du vin, je me posais très peu de questions sur mon genre — j’avais autre chose à faire. Il fallait que j’apprenne et que je me fasse une place avant tout. Et j’ai foncé comme un bulldozer ! Ce n’est que des années plus tard que j’ai réalisé que tout au long de mon parcours, je n’avais rencontré que des hommes. Je me suis rendue compte qu’on m’avait mise au défi plus que d’autres, sous prétexte que j’étais la seule fille dans la salle de classe ou en stage. Bref, ce n’est que quand j’ai été réellement installée et intégrée dans ce milieu que je me suis interrogée sur la place et la représentation des femmes dans le vin », raconte-t-elle. Et ces réflexions engagées, mais aussi quelques rencontres précieuses, ont aujourd’hui donné naissance à un livre : « Vigneronnes ». Les portraits de « 100 femmes qui font la différence dans les vignes de France ».

Vigneronnes

Le livre “Vigneronnes” vient de sortir aux éditions Nouriturfu.

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Autant de femmes que de vins

Et en filigrane, l’objectif de mettre à terre les stéréotypes qui entourent les femmes et le vin. « S’il y a une touche féminine dans un verre, cela ne se goûte sûrement pas au galbe de ses jambes ni à son bouquet fardé, mais à la détermination mise à produire la bouteille, à l’obligation de prouver, de faire mieux. Comme une infinie nécessité de toujours se justifier », commence d’ailleurs dans sa préface Pascaline Lepeltier, sacrée meilleure « ouvrier » de France et meilleure « sommelier » du pays. Voilà qui tord le cou à un cliché encore trop coriace : non, il n’existe pas de « vin féminin », qui serait plus délicat et doux. « Les vigneronnes ne font pas des vins fondamentalement différents de ceux des hommes : elles font juste des vins qui leur ressemblent », tape sur le clou Sandrine Goeyvaerts. Et vous pouvez ranger les rosés : les femmes ne préfèrent pas non plus un type particulier de vin. Au contraire, elles sont nombreuses à aimer les rouges « tanniques ta mère », dixit Sandrine.

Si elle s’en doutait, elle en a eu la confirmation avec « Vigneronnes » : il existait bien des profils et démarches différentes, lorsqu’il s’agit de bichonner la vigne. « Il y a des parcours fous, entre celle qui fait du documentaire en parallèle et celle qui a découvert le vin en Tunisie, en passant un diplôme de scaphandrier ». Le lien qu’elles entretiennent avec la raison peut aussi diverger d’une vigneronne à une autre : pour certaines, un rapport particulier à la nature et aux énergies, pour d’autres, la sensation d’une véritable réalisation depuis le jour où elles ont tiré leur propre jus, après une séparation par exemple. « C’est un extraordinaire facteur d’émancipation », décrit l’autrice.

Des vigneronnes avec de la bouteille

Et pourtant, si certains noms mythiques et historiques reviennent régulièrement dans les bouches —Marie-Thérèse Chappaz, Lalou Bise-Leroy, Anne-Claude Leflaive ou Elisabetta Foradori, les « grandes dames du vin » — ces vigneronnes se connaissent encore assez peu. « Les femmes restent peu visibles, et celles qu’on cite sont toujours les mêmes ». La faute tant aux journalistes qu’aux sommeliers et cavistes, qui ne cherchent parfois pas plus loin que le bout de l’étiquette où ne figure qu’un nom de domaine ou d’homme. Les vigneronnes ne semblent pas non plus avoir le même « esprit de boy’s club » qu’entretiennent leurs collègues masculins. Sandrine Goeyvaerts s’est donc donné pour mission de visibiliser celles qui se cachent encore trop souvent entre leurs vignes ou dans l’ombre d’un compagnon. « Aujourd’hui, quand je parle de domaines, je cherche toujours la femme dans l’équipe. Et presque systématiquement, il y en a une ».

Au fil des pages, on découvre leurs noms, auxquels on s’attache rapidement. Celle-ci a 40 ans et est pleine de poésie : dans le futur, les cendres du bois de ses vignes bio pourraient donner naissance à des émaux pour céramique. Elle s’appelle Athénaïs de Béru. Celle-là a 10 ans de moins, la tignasse folle, des playlists avec David Bowie et Chilly Gonzalès, et s’est faite toute seule. Fiona Leroy, de son petit nom. Celles-là encore sont mère et fille, Dominique Moreau et Jeanne Piollot, et ont deux domaines voisins, où poussent des cépages de pinot blanc, chardonnay, pinot noir et champagne. À la lecture de « Vigneronnes », on veut toutes les découvrir. S’en faire des amies, peut-être, mais surtout boire leurs vins, vivants et libres.

vigneronnes

Dominique et Jeanne, et leurs domaines respectifs : Dame Jeanne et Marie Courtin.

D’ailleurs, Sandrine Goeyvaerts les a souvent elle-même découvertes par la bouteille. Car l’audace ou l’engagement font que parfois, leurs noms se retrouvent bien sur leurs bouteilles. Si c’est toujours la réputation du vin qui les précède, afficher leur nom sur une étiquette peut être un vrai facteur de visibilité pour les femmes de la vigne : « Après tout, la première chose qu’on voit d’un vin, c’est son étiquette ». Pour se « désinvisibiliser », il y a aussi les regroupements féminins, comme celui monté par Sandrine en 2017, « Women Do Wine ». Un collectif international qui rassemble plusieurs métiers et désormais près de 450 membres. En juin dernier, elles se réunissaient à Paris, pour le premier festival « Women Do Wine ». À l’avenir, celui-ci devrait également passer par la Belgique et la Suisse.

Une petite révolution

« La prochaine révolution sera une révolution du palais », écrit Pascaline Lepeltier dans sa préface. Et forcément, de l’assiette au verre, on a envie de la croire. Pour Sandrine, « c’est un moment de libération qui passe par la visibilité des femmes, mais aussi par une certaine liberté dans le goût. On leur a tellement répété que puisqu’elles étaient des femmes, elle devaient forcément aimer et produire des vins doux ou rosés, qu’aujourd’hui elles disent ‘merde’. Elles veulent produire les vins qu’elles veulent ». Une insurrection du goût, mais aussi de leur démarche, qui passe par un éveil flagrant à la conscience écologique. « Elles sont en effet nombreuses à être engagées —qu’elles aient des enfants ou pas. Ces vigneronnes se rendent compte que leurs vins sont faits pour être transmis. Elles veulent donc partager quelque chose de durable, qui n’endommage pas davantage la planète ». Puisqu’on vous dit que la vigneronne est l’avenir de l’homme.

Infos pratiques : “Vigneronnes”, par Sandrine Goeyvaerts. Nouriturfu, 168 pages.

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