Ils sont si nombreux qu’on ne les voit même plus : les personnages masculins toxiques, mais glamours, peuplent notre pop culture, renforçant une vision de l’amour désastreuse et excusant les relations les plus dangereuses. Analyse avec une spécialiste du genre et des séries, Barbara Dupont.
Ils s’appellent Chuck, Thomas, Joe, Dexter et ont tous le même profil : ce sont des hommes séduisants, intelligents et passionnés. C’est en tout cas ce que disent en filigrane les scénarios de « Gossip Girl », « Peaky Blinders », « You » ou « Dexter ». Ce qu’omettent d’expliciter ces séries dans le détail en revanche, c’est que ce sont des violeurs, des meurtriers ou des pervers narcissiques violents — parfois tout cela à la fois. Prenons Joe Goldberg, par exemple. Dans « You », Penn Badgley incarne un jeune libraire qui tombe éperdument amoureux de l’une de ses clientes. Un coup de foudre si électrique qu’il n’a d’autre choix que de rechercher Beck sur les réseaux sociaux. Et de supprimer quiconque se dressera sur le chemin entre lui et sa conquête, même si cela implique de harceler et de tuer.
Sur Rotten Tomatoes, le fameux agrégateur de critiques cinéphiles, « You » a pourtant récolté 93% d’avis positifs pour sa première saison. La série pleine de suspens est appréciée, qu’importe si elle coche toutes les cases de la masculinité toxique et destructrice. « Le personnage principal, Joe, est charmant physiquement, a de l’esprit et un discours pervers qui est présenté comme presque mignon », décrypte Barbara Dupont, doctorante en communication à l’UCL où elle travaille la question de la représentation du genre dans les séries TV. À noter que Beck, en revanche, n’est pas forcément un personnage facile à apprécier.
Ce qui caractérise Joe se retrouve également chez d’autres personnages particulièrement toxiques, et pourtant « glamourisés » par les séries. À l’instar de Chuck dans « Gossip Girl », leur attitude est récompensée, puisqu’il finit toujours par parvenir à ses fins : obtenir l’attention et les faveurs de « la fille ». Leur pouvoir s’exprime même dans leur garde-robe, comme Don Draper dans « Mad Men » ou Thomas Shelby de « Peaky Blinders », toujours tirés à quatre épingle. « Ce n’est pas un hasard si ces personnages sont particulièrement bien habillés », analyse la spécialiste en séries.
La culture du viol en plein
Qui plus est, « ces personnages sont toujours excusés par la narration. On revient sans cesse à cette idée de trauma, qui explique leur attitude. Pour certains c’est leur enfance, pour d’autres la guerre ou une époque où le harcèlement sexuel était ‘accepté’. Dans ‘You’ en particulier, certaines scènes ne servent narrativement à rien, mais servent à justifier les agissements du personnage principal. Bien sûr, on est très conscient de l’attitude perverse de Joe. En revanche, ne pas formuler de critique nette, laisser l’histoire et le suspens prendre le dessus, c’est particulièrement dangereux », reproche Barbara Dupont. Selon elle, le ressort narratif qui consiste à utiliser un personnage toxique n’est pas forcément négatif, à condition de ne pas en faire l’apologie en le romantisant. Cette pratique est pourtant fréquente, pour ne pas dire majoritaire, et contribue à une vision de l’amour nuisible, en légitimant des comportements néfastes sous couvert de « romantisme ».
« Il ne faut pas oublier que la culture mainstream a toujours eu pour but premier de faire vendre. Si l’on crée de tels personnages, c’est parce qu’ils sont bankable. Ils sont aussi une stratégie pour aller chercher une audience, car ils ne sortent pas des schémas que l’on connait — il n’y a pas d’effort à faire, parce qu’ils représentent un discours qui est tenu dans la société de manière majoritaire ». Ces stéréotypes s’entretiennent et perpétuent notamment la culture du viol : un ensemble de comportements qui minimisent, voire encouragent le viol — et plus généralement les violences faites aux femmes.
Des schémas narratifs qui ne sont pas forcément simples à reconnaitre et à combattre, comme l’explique Barbara Dupont : « C’est confortable de se dire que ces personnages ne sont pas flippants, mais romantiques. Et il faut du temps pour se départir de cette manière de penser les représentations de l’amour. Ce sont des images que l’on nous fait avaler depuis l’adolescence ».
En attendant, la saison 2 de « You » s’apprête à être mise en ligne sur Netflix et… à faire un tabac.
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