Le 4 septembre 2019 se tenait la sixième édition du Prix LVMH, la plus médiatisée à ce jour. Le jury, amputé de sa figure de proue – le regretté Karl Lagerfeld –, couronnait pour la première fois un créateur africain. Thebe Magugu, 26 ans, l’un des visages et une des voix de sa génération.

Thebe Magugu a lancé sa propre marque, deux ans seulement après avoir obtenu son diplôme à la LISOF Fashion Design School de Johannesburg. Une décision évidente pour celui qui, pourtant, n’avait pas une carrière de créateur toute tracée.Né dans une famille monoparentale à Kimberley, il  grandit dans cette grande ville minière de la province du Cap-Nord, surtout connue pour son industrie du diamant. À l’âge de huit ans, il entre pour la première fois en contact avec un monde complètement différent, se mettant à suivre la mode de façon obsessionnelle à travers Fashion TV et la série « Ugly Betty ». Encouragé par sa mère, il commence à réaliser lui-même des croquis. Bien des années plus tard, Thebe Magugu affirme que les femmes de sa famille – sa maman, mais aussi sa grand-mère et sa tante – continuent de le guider. De génération en génération, elles lui ont transmis leur amour des vêtements.

collection SS20 Prosopography

Collection SS20 Prosopography

Le message

Le pays natal de Thebe Magugu tisse le fil conducteur de ses collections. Dans Home Economics, sa collection automne-hiver 2018, il dénonce les violences faites aux femmes sud-africaines et une série de féminicides. Partant de la rhétorique « la place d’une femme est dans la cuisine », Thebe Magugu donne à ses créations les couleurs des produits chimiques, du jaune acide sulfurique au rose alcalin. Pour sa nouvelle collection printemps-été 2020, Prosopography, il revient sur la lutte contre l’apartheid. « Quand on évoque l’histoire de l’Afrique du Sud, on ne pense qu’aux grands noms : Nelson Mandela, Oliver Reginald Tambo, Desmond Tutu, tous des hommes qu’on idéalise. Cela me frustre. Qu’en est-il des petites personnes qui ont mis leur vie en danger pour la liberté ? Le mouvement des femmes blanches du Black Sash par exemple. Jean Sinclair, Ruth Foley, Elizabeth McLaren, Tertia Pybus… Vêtues de jolies robes, elles préparaient le petit déjeuner pour leur famille, à peine quelques heures avant d’enfiler bottes, jean et manteau pour aller manifester. Elles ont tout risqué pour protéger la dignité et la culture du peuple noir. »

La réflexion et l’ascension

En plus d’une vision esthétique, Thebe Magugu développe une réflexion sur son pays. Il présente une vision nouvelle, davantage en phase avec l’image contemporaine et progressiste de l’Afrique du Sud. « Je connais les stéréotypes : imprimés animaliers, bijoux à perles, motifs tribaux… Mais notre culture est bien plus riche et diversifiée que ça, avec de nombreuses dualités, comme celle qui oppose la violence et la beauté. C’est cet éclectisme que j’essaie de refléter dans mon travail. » Avec ses créations, Thebe Magugu réussit à créer un nouveau contexte esthétique pour l’Afrique du Sud d’aujourd’hui. Manteaux asymétriques, manches et cols volumineux, coupes androgynes et détails sportswear caractérisent sa collection printemps-été 2020, récemment saluée par les hautes sphères de la mode internationale. Début septembre, il a été le premier créateur africain à remporter le Prix LVMH. Il recevra une subvention de 300.000 euros et un mentorat d’un an de la part d’une équipe d’experts du conglomérat de luxe français. Un énorme coup de pouce pour un débutant. « Ça me donne un peu de marge de manœuvre pour reprendre mon souffle. Au cours des dernières années, j’ai assumé de nombreuses responsabilités, de la comptabilité à la coupe des patrons. J’ai hâte de monter mon propre studio et de grandir de manière organique à partir de là, entouré d’une petite mais fantastique équipe. Ce serait déjà génial d’avoir un modeste show-room à Paris où je pourrais rencontrer des acheteurs. Je ne veux pas agir de façon impulsive, sans le soutien et le back-up nécessaires. »

Le jury du Prix LVMH – composé notamment de Kris Van Assche, Nicolas Ghesquière, Jonathan Anderson et Marc Jacobs – a félicité Thebe Magugu pour son approche créative du savoir-faire traditionnel sud-africain et sa remise en question des codes de la mode féminine et masculine. Le jeune créateur explique les choses à sa manière. « Je crois que le côté exotique de l’Afrique du Sud parle encore à l’imagination, surtout dans le domaine de la mode où il existe un marché naissant. Cela crée des opportunités, mais aussi de nombreux défis. Le manque de moyens contraint les créateurs à produire de manière créative. C’est pourquoi le Prix LVMH est si important. Cela me donne l’occasion de faire évoluer l’infrastructure dont je dispose pour l’amener à un niveau supérieur. » Thebe Magugu ne veut pas trop penser à l’avenir, mais il ne manque pas d’ambition. « L’objectif est de développer une marque de mode internationale. Pas à partir de Paris ou de New York, mais d’ici, de Johannesburg, où je peux ébranler les stéréotypes sur notre pays. »

thebemagugu.com

collection thebe magugu

Les manches bouffantes et textures en relief signent la silhouette Magugu.

Le prix LVMH, c’est quoi ?

– Fondé en novembre 2013 pour récompenser et soutenir les jeunes talents de la mode internationale.

– Cette année, le prix a été remis par Delphine Arnault, vice-présidente de Louis Vuitton, et Alicia Vikander,

actrice suédoise qui interprète Lara Croft dans “Tomb Raider”.

– En hommage au regretté Karl Lagerfeld, membre du jury, le Prix spécial du jury a été rebaptisé en Prix Karl Lagerfeld.

Au mois de septembre dernier, il a été décerné à l’Israélien Hed Mayner (33 ans).

– La septième édition du Prix LVMH aura lieu en juin 2020.