L’industrie de la mode dans son évolution contemporaine, devenue course au produit instagramable-interchangeable, ne leur permettait plus d’exprimer leur poésie radicale avec sérénité. An Vandevorst et Filip Arickx quittent la scène commerciale, mais préparent leur nouvel art.
Pendant 22 années qui resteront gravées dans la mémoire collective d’une mode qui perd ses repères, ils ont resculpté la sensualité d’une allure sportive, par l’apaisement paradoxal des coupes militaires ; de fausses candeurs virginales en uniformes réinventés, ils ont taillé une œuvre de cuir et de tissu.
Une nouvelle séduction, une tendresse sans concession, une histoire subtile comme leurs superpositions. Chaque silhouette était brodée de bon sens et de compréhension d’une époque qui se prend de plus en plus souvent les pieds dans l’ourlet.
On peut connaître des créateurs par leur travail, mais c’est par la peau qu’on les rencontre. An et Filip sont de ces faiseurs de mode qui nourrissent le langage universel, en ajoutant des mots à notre vocabulaire émotionnel. Ils disent : « La mode, ce n’est pas l’avenir, c’est le présent. » Le passé de leurs collections nous a toujours projetées vers demain.
Mais l’industrie de la mode, de plus en plus boulimique et volontiers amnésique, va devoir se passer de leur apport, pourtant indispensable dans un contexte qui confond à l’envi « création » et « produit ».
Depuis quelque temps, face aux bouleversements du secteur, ils réfléchissaient à la suite à donner à leur carrière. Comme la mode est devenue un vecteur moins pertinent pour ce qu’ils voulaient transmettre, ils ont décidé de prendre du recul. Deux solutions s’offraient à eux, comme à de nombreuses « marque créateurs » : s’engouffrer dans une démultiplication de l’offre nourrie par l’obsession du produit, ou conserver leur ADN, et marquer un pas en arrière face à la frénésie.
« Nous ne nous reconnaissons plus dans la surenchère, nous préférons nous concentrer sur la créativité, sur une histoire à raconter. Le vêtement est devenu un produit de consommation, où l’on ne s’intéresse plus vraiment au récit, ni à la qualité. On vit la mode sur Internet, on perd le sens des détails, et la fondamentale notion d’intimité. Même avec tous nos efforts pour développer une excellence digitale, nous n’avons pu rendre l’expérience digitale aussi palpable et émotionnelle que peut l’être un vêtement. »
Conteurs d’histoire, pour poursuivre leur marque, ils auraient dû se contenter d’être des marchands d’instants.
An et Filip ont donc choisi de prendre le temps de réfléchir à un nouveau moyen d’exprimer leur créativité. La clôture de leur label signe une fin cohérente, en beauté, sans précipitation, avec respect.
Cette décision difficile et intègre a été prise sur quelques mois, « nous avons réfléchi à chaque aspect. Les options qui se présentaient à nous ne correspondaient pas à notre vision de la création. Les nouvelles voies commerciales de l’industrie ne répondent plus à notre éthique de travail. Nous préférons finir en beauté, fidèles à nos valeurs. Nous pensons que la mode a un avenir, mais les changements à mettre en œuvre pour s’aligner avec son évolution actuelle, ne nous ressemblent plus. Nous avons toujours beaucoup de créativité, et nous continuerons de l’exprimer dans la mode, mais en la combinant avec d’autres disciplines. »
Dans l’immédiat, ils se consacrent à organiser leurs archives, 22 ans de carrière qui a changé la donne dans la mode belge et internationale. Le couple de créateurs amoureux l’un de l’autre et de la mode a produit des catalogues, rassemblant des looks complets, et les a envoyés à des musées : le FIT et le MET de New York, le V&A de Londres, le MOMU d’Anvers se sont déjà portés acquéreurs de pièces d’archives. Des achats comme du baume au cœur : même lorsque l’on est conscient d’avoir accompli une œuvre contemporaine, ces retours positifs font du bien. « C’est important pour nous que ces années de création laissent une trace, que notre empreinte dans la mode soit reconnue, et que désormais, des collectionneurs et des musées puissent prendre soin de notre contribution. »
Ce qu’ils souhaitent à la mode ? « Plus d’humanité. »
Alors aujourd’hui, je verse une larme de soie, de plissés, de cuir et de drapés. En regardant votre cinquantaine de collections qui ont chacune ouvert une infinité de conjugaisons de l’époque et de la féminité, je pousse un soupir androgyne mais finalement tant que ça, je souris au décalage de votre langage, je chéris l’allure, je revis l’émotion, et je vais économiser mes talons. Je vous dis merci, à bientôt, et A.F. comme « Au Futur ».
La dernière collection printemps été 2020 de A.F. Vandevorst sera disponible en boutique et dans leur flagship d’Anvers jusqu’à fin août.