Être la première femme à la tête du gouvernement fédéral belge n’est pas une mince affaire. Au-delà des décisions et responsabilités, Sophie Wilmès (MR) fait désormais partie de l’Histoire. Rencontre.
Première femme Première ministre, comment portez-vous ce titre et cette fonction ?
Quand on est convaincue, comme moi, de l’égalité intrinsèque entre les hommes et les femmes, on est toujours un peu surprise d’être ramenée à son genre… Mais d’un autre côté, il faut être honnête : il a quand même fallu énormément de temps à la Belgique pour avoir une femme Première ministre. S’il y a eu des commentaires malheureux, la plupart étaient très enthousiastes. Ça a vraiment vibré — et j’avoue que je n’imaginais pas que ça vibrerait à ce point. Ça veut dire que la société est prête, mais qu’elle est aussi en attente. Je ne peux pas m’empêcher de penser aux jeunes filles et garçons qui vont grandir avec, autour d’eux, des femmes Premières ministres, des femmes au top de certaines entreprises et des mamans qui s’épanouissent en travaillant. Ils vont créer une nouvelle génération d’égalité : pas dans l’aspiration, mais dans les faits.
Vous parvenez à expliquer pourquoi on a tant tardé à avoir une femme Première ministre ?
Non, je ne me l’explique pas. Je me dis qu’on devra vraiment chercher des explications si après moi, il n’y a pas d’autre femme Première ministre dans les dix années qui suivent. Mais aujourd’hui, ce plafond de verre là est brisé, et il faut regarder vers l’avenir.
Première ministre, c’était une position à laquelle vous aspiriez ?
Mon engagement politique n’a jamais été motivé par un plan de carrière : je n’en ai jamais eu. Je ne passe pas mon temps à regarder dans le rétroviseur ou à me demander qu’elle est la prochaine étape. Quand on fait ça, on oublie l’essence de sa présence. En revanche, en fonctionnant comme je l’ai fait, les choses se sont construites petit à petit. J’ai certainement eu beaucoup de chance, mais j’ai aussi beaucoup travaillé.
Qu’est-ce qu’une « carrière », pour vous ?
C’est très particulier, parce que l’engagement politique, à priori, ça ne peut pas être une carrière professionnelle. Mais il ne faut pas se leurrer : quand on atteint ce niveau d’engagement, on ne peut pas avoir un autre travail — c’est impossible. Je n’ai donc pas de carrière professionnelle, mais un engagement politique qui me porte. Et il me porte tellement que j’aime utiliser 100 % de mon temps politique à le concrétiser. Ce qui m’intéresse, c’est d’imaginer me retourner un jour et de pouvoir dire que j’ai participé positivement à la construction de la société. Et si rien n’est gravé dans le marbre — j’en suis la preuve vivante —, je pense que je serai toujours engagée.
Que pensez-vous de la création d’un ministère des droits des femmes, comme le réclament certaines militantes et politiques ?
Je suis favorable à la démarche, si elle permet d’apporter du résultat. Il faut se méfier des symboles : ils sont importants, mais il ne faut pas s’y limiter. Il faut mettre en place des choses qui deviennent concrètes et qui transforment un titre en un réel mouvement et de vraies politiques. Les droits des femmes s’opèrent de manière transversale dans toutes les décisions qu’un gouvernement peut prendre. Si on se contente d’un ou une ministre des droits des femmes, alors que les autres ne seraient pas pleinement mobilisés à faire en sorte que dans leur propre département, il y ait une attention aussi importante accordée à ce sujet, c’est moins utile. Donc oui à l’idée, mais seulement si ce ministère a la capacité de produire des résultats dans les départements des autres également.
Quand on est une femme, a-t-on le devoir de soutenir politiquement la cause des femmes ?
C’est une équation assez fine. J’ai toujours défendu l’égalité des genres, mais être la première femme Première ministre fait que j’ai été énormément sollicitée sur la question des droits des femmes. Je dois faire attention à ne pas utiliser chaque moment qui m’est accordé pour mettre ce sujet sur le tapis : il faut trouver le juste équilibre entre faire porter sa voix pour défendre une cause et défendre cette même cause par l’exemple. Une femme Première ministre qui ne ferait que défendre les droits des femmes aurait du mal à répondre à ses autres fonctions. Je préside le Conseil national de sécurité et je défends le point de vue de la Belgique à l’OTAN — c’est la défense. Je suis allée à la COP25 — c’est le climat. Je vais au Conseil européen — c’est l’innovation, l’environnement, l’immigration… Il y a énormément de sujets sur lesquels je dois m’exprimer, et c’est ça, ma fonction. Je dois aussi démontrer que tout cela est faisable, même et surtout quand on est une femme. Qui plus est, on ne défend pas une cause parce qu’on est quelqu’un, mais parce que l’on y croit.
Pourtant, il est prouvé que les femmes sont les premières touchées par les guerres, la crise climatique, l’exil…
Tout à fait. C’est pour cela que dans les travaux pour la COP25, j’ai abordé les conséquences des changements climatiques sur les femmes, premières touchées, mais aussi sources de solutions. Il ne faut pas le nier, mais je dois aussi faire le reste.
Estimez-vous que la société permette concrètement l’équilibre entre vie privée et professionnelle ?
C’est une question qui raisonne très fort en moi. Le travail a la capacité d’émanciper, mais ne doit pas devenir une prison. On vit dans un monde qui s’accélère, où l’on demande beaucoup à beaucoup de personnes. Le fait que les femmes travaillent, autant c’est un facteur de liberté, d’équilibre et de développement, autant quand la société n’est pas suffisamment bien organisée, ça peut devenir une source de stress. Il y a beaucoup d’études qui démontrent que le poids de l’organisation familiale repose encore principalement sur les femmes. Tant qu’il n’en est pas autrement, l’État et la société se doivent d’organiser un juste équilibre entre vie familiale et professionnelle. Il n’y a pas de recette miracle, mais il existe toute une série de métiers où il n’est pas compliqué d’offrir plus de flexibilité. Je défends fortement le « mini-congé » : ça m’est arrivé tellement de fois que l’on m’appelle parce que Victoria était tombée ou que Jonathan avait mal à l’oreille. Si on travaille dans un bureau, souvent, l’employeur est conciliant. Mais parfois, ça ne se passe pas bien. Ce congé de conciliation entre vie professionnelle et familiale devrait être possible pour le travailleur, pour qu’il n’y ait pas de sentiment de culpabilité ni de pression. Qui plus est, on n’est pas simplement un papa ou une maman : on est aussi un ami, une personne qui a besoin de faire du sport, de souffler, de se réaliser. L’équilibre à encourager est donc triple, entre vie professionnelle, vie familiale et vie personnelle.
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