Quand certains lèvent le pied sur la scénographie, d’autres décident de nous faire rêver. Nicolas Ghesquière a une fois de plus libéré son imagination pour nous entraîner dans un monde raffiné où tout se mélange, mode, musique et art, dans un seul défilé. Le temps ne semble pas avoir de prise sur sa créativité et c’est certainement un des derniers exemples qui prouvent que les fashion weeks ont vocation à nous plonger dans la projection d’une vision, bien au-delà du vêtement.
L’incroyable et l’écoresponsable du défilé Louis Vuitton
Au centre de la Cour Carrée du Louvre, une énorme boîte noire. Des gradins noirs, un plancher en bois lasuré noir, plus minimaliste, tu meurs. D’ailleurs, on meurt un peu de chaud dans l’attente de ce tout dernier show parisien. C’est pour ça que le timing est parfait lorsqu’un rideau noir s’affaisse dévoilant un décor composé d’une galerie de personnages hauts en couleur. C’est le début d’une performance musicale remarquable composée par un choeur de 115 chanteurs et 85 figurants, imaginée par le metteur en scène Francisco Negrin. La pièce « Three hundred and twenty » est composée par Woodkid et Bryce Dessner, elle se réfère au nombre d’années entre les différents mouvements de cette musique baroque dans laquelle il a injecté une mélodie minimaliste et répétitive. Ce morceau a d’ailleurs été inspiré par le compositeur du 18e Nicolas de Grigny qui, peu valorisé par ses pairs, n’a jamais pu jouer au Louvre. Revanche posthume !
Les 200 personnages imaginés par Milena Cononera, la costumière de Stanley Kubrick (pour Orange Mécanique et Shining) et Nicolas Ghesquière portent des costumes allant du XVe siècle aux années 1950 et illustrent à merveille le “clash des temps“, le thème de la collection. C’est un enchantement.
En coulisses, on apprend qu’un soin particulier a été apporté au recyclage de ce décor éphémère: la structure en verre a été louée, les gradins en bois sont issus de forêts françaises gérées durablement. Le directeur artistique s’explique d’ailleurs sur sa vision du set: “Epuré, comme lors du dernier défilé Louis Vuitton. Une grande scène de théâtre où nous sommes tous des personnages de ce moment. Qui sont les acteurs ? Qui sont les spectateurs ? Toutes ces périodes cumulées sont dans une même salle. Dans la tribune, le passé. Dans les gradins, le présent. Et sur le podium, un futur proche… À l’occasion de ce défilé, une structure louée en verre recouvre le décor composé de bois et de Valchromat certifiés 100% PEFC et issus de forêts gérées durablement en France. L’intégralité des éléments de décor en bois sera, par ailleurs, donnée pour réemploi à différentes associations en France.”
Voilà pour le décor, mais qu’en est-il de la mode ?
Une collection qui “clashe”
Que se passerait-il si on mélangeait les codes historiques de la mode ? Si les époques se réunissaient sur un seul et même catwalk dans un maelström créatif des plus troublant ? On aurait l’impression d’arrêter le temps. Nicolas Ghesquière a décidé pour l’automne-hiver 2020 de construire une silhouette anachronique. Et c’est sans doute là que l’on retrouve une métaphore de la postmodernité. Un jupon encombrant se flanque d’un anorak sportif. L’utilitaire se marie à la sensualité, le confortable au sexy, autant vous dire qu’on a adoré ! Comment mettre en avant l’artisanat de la maison et la décomplexion de sa contemporanéité ? C’est un pari relevé haut la main et qui nous donne envie de nous jeter à pieds joints dans ces silhouettes entièrement faites pour nous. Paradoxalement, le créateur parle d’anti-total look: “La notion du temps est primordiale dans la mode. Je voulais que des époques puissent en regarder une autre, la nôtre. Tous ces passés, incarnés par cette tribune de personnages en costumes historiques sont dans le même temps présent que nous. Nous sommes tous ensemble devant une collection qui elle-même raconte un clash stylistique, vivant, vivace. Tout ce que nous pouvons faire avec les vêtements, les mélanger, les mixer. C’est une sorte d’anachronie des genres. Ce pourrait être tout simplement le plaisir du vêtement, et toutes ses possibilités, sans protocole, sans entrave. Ce que l’on a déjà chez soi et que l’on associe à ce que l’on voudrait de nouveau. Cette collection, c’est l’anti total look qui fait appel à la personnalité de chacun, à l’agilité que l’on peut avoir face à son vestiaire. Un vêtement fonctionnel pourrait être une tenue d’apparat et vice et versa. C’est ma proposition et je la veux ouverte, énergique, spontanée. Cette collection, c’est du tuning vestimentaire.”
Une proposition qui a fait l’unanimité sur les gradins. Et on doit encore attendre six mois, maintenant…