Des T-shirts bas de gamme bradés ? Le consommateur en a — enfin — assez. Instagram propose désormais des pièces sur mesure confectionnées à partir de matériaux recyclés, dont la durabilité et la qualité justifient le prix. Découverte de ces ateliers de couture en ligne.
Certaines accompagnaient leur (arrière) grand-mère chez la couturière lorsqu’elles étaient enfants. Un petit atelier à l’ambiance feutrée où une femme vêtue d’un tablier, un mètre ruban autour du cou, s’affairait à raccommoder des piles de pantalons et de chemisiers de flanelle. Au mieux, ça sentait bon. Au pire, ça ne sentait rien. Tout comme la laitière ou le vendeur de journaux, la couturière et ses épingles semblaient appartenir au passé. Mais aujourd’hui, les robes tendance et bon marché des chaînes de fast fashion rivalisent avec les vêtements bien finis qui résistent à l’épreuve du temps. L’artisanat sur mesure gagne à nouveau en popularité et en sex-appeal, à deux détails près : aujourd’hui, passer chez la couturière s’apparente à saisir son smartphone, et l’artisan en question se trouve à seulement quelques hashtags de chez nous. Les marques slow fashion se multiplient : ces petites fées qui fabriquent leurs créations uniquement sur demande et sur mesure sont en rupture de stock permanente et favorisent les matières durables. La façon grand-mère, avec une touche sexy.
Trente pièces par semaine
« J’ai acheté un chemisier sur Instagram. » C’est en ces termes que la gourou américaine du style, Leandra Medine, a permis à une petite griffe lilloise de vêtements sur mesure de sortir de l’ombre. Depuis lors, des influenceurs et des stars mondiales du calibre d’Emily Ratajkowski s’arrachent les articles made in France de Maison Cléo.
Une seule fois par semaine puisque l’e-shop de la marque n’ouvre que le mercredi à 18h30, heure à laquelle les acheteurs les plus rapides peuvent prétendre à l’un des trente chemisiers, tops ou robes qu’ils ne recevront que deux semaines plus tard avec un chouchou offert. Derrière ce pitch se cache un duo mère-fille : Nathalie, couturière, et Marie Dewet, qui travaille dans l’industrie de la mode depuis plusieurs années et se sentait à l’étroit dans les rayons des magasins classiques – « des matières synthétiques et des prix exorbitants ». C’est la raison qui l’a poussée à demander à sa maman de lui confectionner des vêtements, qu’elle a postés sur Instagram et qui ont d’emblée suscité l’engouement. Allait-elle répondre à la demande des amies et des amies d’amies ? La réponse ne s’est pas fait attendre ! Les commandes ont afflué et le tandem a créé sa propre marque.
Marie se charge du stylisme et de la coordination. Après chaque vente, elle envoie un e-mail à la cliente pour parler taille, préférences personnelles et ajustements éventuels au modèle de base. Dans la foulée, Nathalie se met au travail derrière sa machine à coudre. « Il faut entre deux et trois heures pour réaliser une pièce aussi personnalisée. C’est pourquoi nous ne pouvons pas vendre plus de trente articles par semaine. Afin d’éviter le gaspillage, nous n’avons pas de stock. » Un détail important : tout est fait à partir de chutes de tissus que Marie récupère dans des maisons de mode parisiennes. « Nous ne savons pas vraiment à l’avance dans quels imprimés, couleurs ou matières nous allons pouvoir proposer nos pièces, tout dépend de ce que nous allons trouver. Cette façon de faire laisse place à l’improvisation, et c’est précisément ce que nous aimons. »
Le sur mesure pur et dur, une approche à laquelle d’autres labels adhèrent. Un simple e-mail à Éternel Éphémère suffit pour que la marque s’attelle à confectionner un ensemble de lingerie entièrement personnalisé en dentelle de Calais, tissée dans le respect des traditions séculaires.
À Paris, Aurore Van Milhem crée des robes et des chemisiers romantiques qui se vendent en un clin d’œil par le biais de ventes hebdomadaires en ligne, à l’instar de Maison Cléo.
Depuis New York, les sacs à main en plastique recyclé de Susan Alexandra partent comme des petits pains.
Et en Belgique, nous avons Gioia Seghers. Il y a quelques années, elle lançait son label éponyme avant d’être contrainte rapidement de fermer boutique pour des raisons économiques. Mais elle n’a pas perdu son talent et raconte depuis peu une autre belle histoire. Aujourd’hui, elle donne une seconde vie au surplus de denim pour créer des kimonos et des bodys sur mesure pour bébés. Elle récupère jeans et chemises à Bruxelles et dans les alentours, et réalise sur demande ses pièces dans son propre atelier : transmettez-lui la taille souhaitée par e-mail ou SMS et recevez un vêtement unique quelques semaines plus tard.
La mode qui honore la mode
Gioia Seghers : « Ce système est beaucoup plus spontané que le rythme classique de deux collections minimum par an. Je travaille à partir des tissus dont je dispose, souvent dénichés au marché aux puces de la place du Jeu de Balle ou dans des brocantes. Sans contrainte de temps ni pression des distributeurs. Financièrement, c’est beaucoup plus simple et ça me permet de faire de la vraie mode : des pièces uniques et cousues main en réponse à une industrie de la fast fashion dénuée de sens. Ce n’est pas toujours simple de trouver suffisamment de denim de qualité, mais rien de tel qu’un bon défi pour titiller mon inspiration. Je suis intimement convaincue que l’industrie doit évoluer dans cette direction : des tonnes de vêtements finissent à la décharge chaque année, pourquoi continuer à épuiser notre planète pour fabriquer de nouvelles pièces ? » Bien entendu, cette méthode prend beaucoup plus de temps. Il faut plusieurs heures pour récupérer et laver le denim, mais c’est précisément ici que l’amour du métier entre en scène : « J’ai véritablement ressenti le besoin de me remettre au travail manuel, de faire quelque chose moi-même. Et quand je discute avec des collègues de mon âge, je comprends qu’on aspire tous à la même chose. »
On observe également ce phénomène chez les anciens étudiants en mode, qui ne rêvent plus de gloire, de prestige et d’une marque qui porte leur nom, comme John Galliano ou Alexander McQueen, mais travaillent individuellement ou collectivement sur des projets qui rendent à la mode ses lettres de noblesse. Comme les couturières de nos grands-mères l’ont fait pendant des années.
Rien de naïf dans tout ça : Gioia, Marie et les autres sont toutes des professionnelles de la mode. On ne parle pas ici d’entrepreneuses au sourire aiguisé qui s’enrichissent à grand renfort de chemisiers made in China, mais bien d’initiées qui connaissent l’envers du décor et ont opéré un choix conscient. « Aujourd’hui, les prix sont insensés », affirme Marie. « Il existe un énorme malentendu sur la mode made in France : elle serait fabriquée dans des ateliers de couture et coûterait d’office un bras. C’est absurde. Des usines à Paris produisent à la chaîne des robes quelconques et les vendent à des prix qui dépassent l’entendement. Mais ce n’est pas non plus normal de vendre un T-shirt à 10 euros. C’est exactement pour ça que nous aspirons à une transparence extrême chez Maison Cléo : en fonction du nombre d’heures de travail et du type de tissu, un chemisier coûte chez nous entre 110 et 200 euros. »
Même son de cloche du côté de Manon Derisbourg, les doigts de fée d’Éternel Éphémère : « Qui dit sur mesure, dit qualité et longévité, mais aussi prix plus élevé. Je calcule mes tarifs – entre 80 euros pour une culotte et 220 euros pour un body – en fonction du nombre d’heures de travail manuel, du prix d’achat de la dentelle, du temps de préparation qui comprend la réalisation du patron et la fabrication du prototype, de la gestion de la communication… »
En contact avec les abonnés et les clients
« J’essaie d’être aussi honnête et transparente que possible. J’estime que cette façon de faire a de l’avenir, même si elle ne deviendra pas la norme du jour au lendemain », ajoute Gioia. « Les consommateurs doivent encore être éduqués et apprendre qu’il vaut mieux avoir un pantalon de qualité que cinq qui ne passent pas plus d’une saison. Ils sont habitués aux chaînes de fast fashion, ils doivent revenir les pieds sur terre. »
C’est précisément la raison pour laquelle la communication avec les clients et la transparence dans l’ensemble du processus de production sont essentielles. La popularité des comptes comme Diet Prada, qui dénoncent les plagiats, est la preuve que les millennials et la génération Z participent à ce débat, et les stories de @MaisonCleo, @AuroreVanMilhem et compagnie vous permettent de jeter un œil dans les coulisses : comment elles s’assoient derrière leurs machines à coudre, dénichent de nouveaux tissus, manquent la cible et doivent recommencer, ou détaillent l’art et la manière de réaliser un patron. Les followers sont souvent impliqués activement dans le processus, par exemple en étant invités à voter pour l’un ou l’autre imprimé ou modèle. Ou comment aider les consommateurs à comprendre d’où viennent les prix et pourquoi ils doivent patienter avant de recevoir leur commande. « Le public recherche de plus en plus des vêtements authentiques et éthiques de qualité, qui dureront longtemps », conclut Manon. Des trésors qui font partie du patrimoine de la couture…
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