Sororité, combats et coups d’éclat. Notre journaliste, Juliette Debruxelles revient sur le destin de personnalités qui ont changé la face du monde… Qui est Oprah Winfrey ?

La Souveraine

Quand on n’a même pas besoin de prononcer ton nom de famille pour t’identifier, c’est soit que tu as sept ans et que tu es la seule enfant à porter un prénom bizarre dans la cour de récré, soit que tu es une ultra-méga-star que tout le monde connaît (parfois les deux). L’aura d’Oprah Winfrey couvre les épaules des États-Unis d’un voile de résilience, de réussite. Elle est un exemple pour plusieurs générations (de femmes, mais pas que. Quand on a Barack pour pote, on se pose là), et on va juste expliquer pourquoi. Sans s’épancher, sans trembler, sans pleurnicher, même s’il y a parfois de quoi. Oprah n’aimerait pas ça. Elle n’a pas le temps et l’émotion qu’elle veut communiquer, elle la transmet sans que personne ne doive l’y inviter.

Pressentie pour être la relève démocrate à la présidence américaine de 2020, un siège tout chaud l’attendait au Sénat. On se détend tout de suite question espoirs : ça n’arrivera pas. Celles et ceux qui ont déjà acheté des T-shirts brandés « Oprah 2020 » peuvent les recycler sur Vinted.

Elle ne veut pas entrer en politique, pas comme ça.

Son truc, c’est être près des gens, mais comme elle l’entend. De 1986 à 2011, son show télévisé déchire tout. Un modèle du genre, diffusé dans 140 pays, rassemblant 30 millions de téléspectateurs chaque semaine, ultra-imité. Une vraie révolution. C’est là que les personnes présentes dans l’actualité (politiques, anonymes ou icônes) se pressent. Les plus grandes stars s’y confessent à propos de leurs déboires, de leur enfance, de leurs malheurs et rédemptions. Michael Jackson y parle de sa maladie de peau, Tom Cruise y déclare son amour pour Katie Holmes, Naomi Campbell y révèle ses problèmes de drogue, des personnes y font leur coming out, d’autres y racontent comment elles sont devenues des parias après avoir été contaminées par le virus du sida. « L’oprahfication », telle que qualifiée par le « Wall Street Journal», ouvre la lucarne sur la sphère privée, sur les injustices et inégalités. Elle confronte les homophobes, les sexistes, les esprits étroits. Les rappeurs stars du début des années 2000 (50 Cent, Ice Cube) lui reprochent d’être « antihip-hop » et de ne pas jouer le jeu de la révolte sociale en musique en ne les invitant pas. Elle les recadre en déclarant qu’elle ne fera pas la promo d’un rap dont le folklore et les paroles dégradent l’image de la femme. Faut pas chercher Oprah. Et quand elle balance, l’écho se fait si fort que le bad buzz est intense, à tort ou à raison (comme lorsqu’en 2005, on ne la laisse pas entrer dans une boutique Hermès fermée depuis dix minutes et qu’elle affirme qu’il s’agit de racisme).

Le style Oprah : le « rapport talk ». Un terme inventé pour elle et désignant sa manière de « créer du lien » avec ses invités. Oprah grossit, maigrit, souffre de la thyroïde, se sépare, est végétalienne durant trois semaines et se confie, elle aussi. Sur son besoin d’être appréciée, sur ses relations compliquées avec les hommes, sur le désamour qu’elle se porte. Elle et 37.000 personnes interviewées en 25 ans. Des tonnes de mouchoirs en papier, une empathie télégénique dont seuls les Ricains ont le secret.

Derrière les millions de dollars accumulés (elle est devenue millionnaire à l’âge de 32 ans) et les titres enchaînés, décernés par des gens qui aiment bien faire des classements (« Première femme noire milliardaire de l’histoire », « Femme la plus riche des ÉtatsUnis », « Femme la plus influente du monde », « Leader spirituel », « Personne noire la plus influente de sa génération »), une quantité de douleurs qui l’ont forgée. Pas qu’il faille en passer par là pour être respectée, mais d’un parcours pareil, on peut sans doute se consoler en se disant qu’on inspire l’humanité.

Au « Time », elle confiait, à propos du concept même de talk-show : « Si une chose arrive à une personne, elle est arrivée à des milliers d’autres. J’ai tellement appris sur moi-même à travers mes invités. Je me souviens avoir eu pendant des années l’impression d’être la seule personne à avoir été sexuellement abusée. Et au fur et à mesure, j’allais entendre des gens partager des histoires et des sensations qui étaient les miennes. »

On y est. Alors vite fait : gamine, ballottée entre une mère adolescente et une grand-mère maltraitante, elle subit des violences et des viols, commis par plusieurs proches. L’un d’eux la met enceinte. Elle a 14 ans, sa mère la vire, le bébé décède quelques semaines après être venu au monde et elle finit chez son père qu’elle n’a vu jusque-là que quelques rares fois. Mais elle est toujours debout. Et elle le restera.

Vers l’âge de 17 ans, elle bosse pour la radio locale, puis vient la télé où elle présente les infos. Et de poste en poste, elle devient « La dame du Oprah Winfrey Show ». Elle est partout, produisant des spectacles, des films, y jouant, créant des émeutes dans des librairies après qu’elle a recommandé des bouquins dans son émission dédiée à la littérature…

Et elle libère et récolte des fonds pour des causes, plein de causes. En 2007, elle ouvre une école pour filles en Afrique du Sud. La Oprah Winfrey Leadership Academy for Girls. 40 millions de dollars investis pour 450 places. Elle s’en prend plein la face à base de « Et nos pauvres à nous ? », « Dis donc, ça fait cher la place » et autres inepties de trolls. Et elle s’en cogne, persuadée que tout peut arriver, que rien ne peut arrêter celles qui trouveront en elles la force d’avancer. « Il n’y a pas à casser le plafond parce qu’il n’existe pas. Il n’y a pas de plafond, pas de barrière. » S’il ne fallait retenir qu’une chose, c’est ça : le monde appartient à celles qui croient en elles et en la sain(t)e parole d’Oprah !

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