Si l’année 2019 a été l’année du virage « green », la mode reste une des industries les plus polluantes de la planète. Comment le secteur du textile réagit-il face à l’urgence climatique ? Et quelles mesures sont prises par les géants du luxe et de la fast fashion ? Voici ses engagements.
Vers une mode écolo ?
En août dernier, François-Henri Pinault, le président du groupe Kering (Gucci, Saint Laurent, Bottega Veneta), présentait en marge du sommet du G7 de Biarritz le Fashion Pact : un engagement en faveur de l’environnement visant à réduire l’impact de la mode sur l’écologie, la biodiversité et les océans, avec des ambitions de neutralité carbone, d’approvisionnement à 100 % en énergies renouvelables et d’arrêt de l’utilisation du plastique à usage unique, à l’horizon 2030 et 2050. Parmi les signataires de la première heure : Armani, Hermès, Moncler, Prada, Chanel, Burberry. Mais aussi les enseignes de la fast fashion comme H&M, Gap ou encore Zara. Aujourd’hui, près de 36 entreprises, propriétaires de 250 marques de mode, se sont donné pour mission d’établir un business model plus « écoéfficient », sans renoncer au chiffre d’affaires ni à la mondialisation.
Tous à l’exception de LVMH, Bernard Arnault ayant expliqué qu’il avait déjà mis en place de nombreux engagements au sein de son groupe. Chiffres à l’appui, le président du géant du luxe a tracé sa route en septembre dernier lors de l’événement Future Life. Sur la période 2013-2018, LVMH a déjà réduit de 16 % ses émissions de Co ² et vise 100 % de diamants certifiés en 2020 et la traçabilité totale des matières animales d’ici à 2025. Une volonté marquée par le rapprochement avec Stella McCartney – devenue conseillère spéciale de Bernard Arnault sur le développement durable – et la nomination de Hélène Valade à la Direction développement environnement. Sur le papier, la volonté de changement est donc clairement affichée. Mais qui pour vérifier, s’interrogent les ONG. Car si les engagements pris par les acteurs de la mode sont sans contraintes, n’oublions pas que leur réputation est bel et bien en jeu.
Les Fashion Weeks s’adaptent
Sous l’effet de cette prise de conscience et très contestées par des instances internationales comme Extinction Rebellion ou Fashion Revolution (nées en réponse à l’effondrement en 2013 du Rana Plaza, à Dacca au Bangladesh, qui abritait des ateliers de fabrication de Primark ou Mango, entre autres, NDLR), les Fashion Weeks de New York, Londres, Milan et Paris se mobilisent. Ainsi, le British Council a lancé en 2018 l’institut Positive Fashion, qui a pour vocation d’accompagner les marques de mode et les jeunes créateurs dans leurs questionnements liés à la protection de l’environnement et de leur proposer des solutions concrètes. De son côté, le Council of Fashion Designers of America, dont la présidence est menée par Tom Ford, a mis en place depuis janvier 2019 la « Sustainability Initiative », un programme similaire destiné aux acteurs du secteur. En septembre dernier à Milan, Gucci, propriété de Kering, a donné le ton, faisant de son défilé printemps-été 2020 le théâtre de ses engagements : les invitations et le bois utilisés pour le décor du show étaient entièrement recyclés et recyclables. Et à Paris, la Fédération de la haute couture et de la mode parisienne a pris à son tour différents engagements à la fois industriels et événementiels. Navettes électriques, application smartphone à la place du guide papier… Loin d’être parfaites, ces grands-messes de la création et de la mise en scène affichent (enfin) des préoccupations environnementales et sociales.
La joaillerie orchestre sa révolution
Si la demande ne fléchit pas, les ressources de la joaillerie, elles, sont épuisables. Comment faire face à une possible pénurie ? Grâce aux gemmes de synthèse fabriquées en laboratoire chimiquement et physiquement identiques à leurs équivalents miniers mais sans l’impact négatif que l’industrie génère sur l’environnement ou pour la société. Une révolution menée par des joailliers iconoclastes comme le parisien Courbet, les français J.E.M. ou Burma, l’autrichien Atelier Swarovski, les américains Vrai & Oro et Diamond Foundry, le belge Kimai qui n’utilise que de l’or recyclé, issu de déchets électroniques ou industriels, et des pierres cultivées en laboratoire.
Quand on sait que même Tiffany & Co. s’est engagé dans une démarche de traçabilité, en dévoilant l’origine de ses diamants avant d’arriver aux doigts de ses clients, on se dit que la filière évolue. « Rien ne doit être opaque. Nos clients méritent de connaître l’origine géographique et le parcours de leurs bijoux en diamants », explique Alessandro Bogliolo, directeur général du joaillier américain récemment acquis par LVMH. Preuve ultérieure qu’un autre bijou est possible, le maître de la joaillerie Chopard s’est lancé dans l’aventure de l’or éthique et traçable en basculant l’ensemble de sa production sur de l’or labellisé Fairminded. Dont la fameuse palme d’or du Festival de Cannes.
Stella McCartney ouvre l’ère de la fausse fourrure écolo
Se dirige-t-on vers une fausse fourrure 100 % durable ? C’est le pari lancé par la créatrice britannique Stella McCartney qui a présenté en septembre dernier un manteau en fausse fourrure de Koba, la plus écologique jamais réalisée car issue de résidus de biocarburants de maïs. « C’est un pas en avant vers une mode plus responsable et attentive au bien-être animal », se félicitait la designer qui propose une véritable alternative pour une clientèle qui ne fait que croître. Une prouesse textile qui deviendra la norme ? Longtemps critiquée car dérivée de l’industrie de la pétrochimie, la fausse toison se rachète une conduite portée par de jeunes marques consciencieuses du bien-être animal (Shrimps, Apparis, House of Fluff) et désireuses de dépoussiérer l’image du secteur. Place à l’utilisation de matières premières de meilleure qualité, plus respectueuses de l’environnement comme le modacrylique, au toucher extradoux, ou le polyester recyclé confectionné à base de PET (sacs plastiques et bouteilles). Autre piste explorée, celle des dérivés du chanvre, dont la culture nécessite peu d’eau et de pesticides. Et les marques s’y mettent sans attendre le procédé parfait, dessinant les contours d’une société « fur free ».
Les baskets, la course au green
« Des running, c’est 99 % de plastique issu à 99 % du pétrole », rappelle Sébastien Kopp, cofondateur de la marque de baskets écolos à succès Veja. C’est en partant de ce postulat que la griffe s’est lancé le défi de développer la « Condor », premier modèle à supprimer le plus possible de pétrole grâce à une composition à 53 % de matières biosourcées et recyclées. Un défi technique qui a nécessité plus de quatre ans de recherches. « Aujourd’hui, on peut courir environ 1.000 km avec, ce qui correspond à la durée de vie standard d’une basket », se félicite celui qui vend entre 2 et 3 millions de paires par an et ouvre en mars une grande boutique Veja à New York. Dans ce même esprit de sneakers green et stylées, Adidas s’est associée à Stella McCartney pour confectionner les premières Stan Smith vegan, New Balance fait équipe avec l’américain Reformation, et Nike et Converse ont sorti leurs premières baskets fabriquées à partir de matériaux recyclés. Une course au green qui ne fait que commencer…
La Chine donne l’exemple
Poussé par la politique green instaurée au niveau local, le « made in China » change de visage. Le cas d’Icicle, un label originaire de Shanghai qui a très vite compris l’intérêt d’investir le créneau avec des vêtements 100 % en matières naturelles (laine, cachemire, soie) travaillées avec des pigments végétaux. Lancé en 1997 par le couple Ye Shou Zeng et sa femme Tao Xiao Ma, il se revendique durable et « soft fashion » avec des collections que l’on peut porter longtemps. « Icicle est d’origine chinoise mais sa vocation est internationale, dénuée de toute nostalgie ethnique », expliquait dans la presse la Française Isabelle Capron, vice-présidente d’Icicle Shanghai Fashion Group. La preuve par ses 270 boutiques ouvertes dans le monde.
Stop à la surproduction
Invendus brûlés, stocks difficiles écouler, produits textiles qui finissent à la poubelle : la surconsommation n’est plus à la mode. Cette prise de conscience ne concerne pas que les consommateurs, elle est aussi portée par les grands groupes qui souhaitent mettre fin à cette logique. Pour ce faire, de nouvelles techniques voient le jour en usine. Ainsi, Louis Vuitton prône une production raisonnée via un atelier inauguré en septembre dans l’ouest de la France et expérimente la réutilisation des matières. Un plan d’action qu’entend mener aussi l’italien Intimissimi avec l’opération « Recycle ». « Nous avons collecté pendant dix ans des sous-vêtements dans le monde entier. Aujourd’hui, nous sommes dans la mesure de proposer une ligne green de pyjamas, nuisettes, soutiens-gorge et culottes conçus en tissu recyclé », annonce la marque. Prada propose des sacs Re-Nylon conçus à partir de filets de pêche recyclés. Hermès a lancé sa ligne d’objets « Petit h », issus exclusivement de l’upcycling. Ce façonnage de pièces à partir de chutes est même adopté par H&M, et par de jeunes talents comme Marine Serre, le Néerlandais Ronald van der Kemp ou l’Américaine Emily Bode, finaliste du LVMH Prize en 2019. Mais « upcycler » n’est pas une mince affaire : il faut dénicher la bonne matière, en bon état, la nettoyer et souvent être obligé de travailler avec de petites quantités de tissus ou de vêtements. Une telle pratique est-elle viable à grande échelle ? Entre-temps, le retail s’organise, en développant les business de la seconde main ou de la location de vêtements. Selfridges, à Londres, invite Vestiaire Collective à ouvrir un espace permanent de 40 m², et la chaîne de grands magasins Nordstrom, aux États-Unis, noue un partenariat avec le site de location Rent the Runway. Faire du neuf avec du vieux… et continuer à vendre : sans doute la nouvelle équation de la mode pour la décennie à venir.
Le denim voit vert
C’est le vêtement le plus porté dans le monde, le plus vendu et le plus polluant. Un jean, c’est des centaines de litres d’eau, des pesticides, des colorants, de puissants détergents et des milliers de kilomètres de transport pour atteindre nos dressings. Alors, les marques — y compris les maisons très établies — repensent la fabrication de la toile pluricentenaire. En septembre dernier, Clare Waight Keller a présenté pour Givenchy des pièces en toile recyclée des années 1990. Quant à Ralph Lauren, le roi du denim US a mis au point « Design The Change » pour un denim le plus éthique. Ce changement d’attitude s’affiche aussi chez Gap. « Un meilleur denim. Une meilleure planète » clame le slogan de « Gap For Good », un programme qui vise à réduire l’utilisation de l’eau afin de limiter son impact sur l’environnement. « L’équivalent de 412 millions de bouteilles d’eau a déjà été sauvé depuis sa mise en place en 2016 », assure le jeaneur US.
Réfléchir aux à-côtés
Comment participer à un meilleur monde possible ? Voilà la question sur laquelle se sont penchés Guillaume Henry et Sophie Brocart avant de relancer la maison Patou. « Au-delà du recycling, nous avons voulu être irréprochables sur la traçabilité et les conditions de fabrication des collections. Chaque vêtement possède un QR code qui fonctionne comme une pièce d’identité. Tout est détaillé : de la provenance du tissu jusqu’à l’identité de l’artisan qui l’a confectionné. On a également réfléchi à tous les à-côtés autour du vêtement comme les cintres, les housses et les packagings, et on a décidé de les intégrer dans un circuit écoresponsable dont le gaspillage est considérablement réduit », explique le designer français. Conséquence directe : le client est informé de manière ludique et pédagogique.
Et après ?
Entre sincérité, durabilité et rentabilité, il reste encore beaucoup à faire, déplorent les ONG environnementales. Parmi les chantiers de demain : ancrer l’écoresponsabilité dans l’identité des marques en trouvant un modèle économique qui soit profitable, le green comme argument marketing agaçant le secteur. Tout comme éduquer les consommateurs à mieux entretenir leur garde-robe pour éviter les gaspillages. Un combat qui ne fait que commencer.
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