Écologie, traçabilité, mode à la demande… L’industrie du prêt-à-porter vit une révolution sans précédent. Quels enjeux pour demain et quel scénario pour la prochaine décennie ? Le point en dix questions.
Futur de la mode: quels sont les enjeux ?
1. Vers une mode transparente ?
Marianne Romestain, directrice de l’offre et des achats aux Galeries Lafayette :
« Faire savoir dans quelles conditions sociales et environnementales sont récoltées les matières premières, où elles sont préparées, tricotées, comment le vêtement arrive en boutique et quel est son bilan carbone… Ces questions sont les gros enjeux de la mode de demain. Tout comme pour la composition d’un produit, les entreprises vont devoir s’attaquer à sa traçabilité. Un travail de longue haleine, car il y a entre cinq et dix maillons entre la production et le produit fini. Il existe aujourd’hui des technologies qui nous permettraient d’y répondre avec précision, comme la blockchain, qui délivre un certificat virtuel sur l’historique d’un produit et sur sa vie après vente. La vraie difficulté sera de concilier les protocoles de toutes les entreprises, soit par des normes mondiales ou européennes, soit en travaillant de façon conjointe. Joaillerie, maroquinerie de luxe, fast fashion… ces secteurs vont devoir anticiper cette révolution en apportant une réponse claire et consolidée compte tenu des attentes des clients. »
2. Quels (top-) modèles pour demain ?
Adam Hindle, directeur de casting pour Tom Ford, Valentino, Viktor & Rolf et Agnona :
« Le stéréotype du top-modèle porte-manteau est une faute de goût inexcusable aux yeux des millennials. La beauté pure ne suffit plus. En réaction aux vieux diktats (blancheur, maigreur, jeunesse), des modèles autrefois proscrits prennent désormais leur revanche.
Le casting idéal pour le futur de la mode comprend tous les emblèmes de la diversité : âge, morphologie, couleur de peau, sexualité. Nous traquons avant tout des gens qui affirment leur individualité, avec des vies inspirantes et des personnalités qui restent. Avec des mannequins aux parcours différents, dans lesquels le grand public peut se projeter. Les castings des défilés de la maison Balenciaga dirigés par Demna Gvasalia illustrent bien cette direction esthétique. Cette récente mixité ne concerne pas que les mannequins. Elle est portée par l’arrivée de designers et de rédacteurs en chef de magazines qui favorisent l’émergence de nouveaux standards. »
3. Quel futur pour le vêtement neuf ?
Pierre-Arnaud Grenade, P.D.G. de Ba&sh : « Aujourd’hui, le sujet n’est plus seulement de s’intéresser à la première existence du vêtement, mais à la façon dont on peut prolonger efficacement le cycle de vie des produits. Le seconde main et la mode en location offrent d’intéressantes perspectives. À titre d’exemple, à partir du mois d’avril, les clients disposant de produits de la marque Ba&sh pourront revendre leurs articles sur le site. Quant à la location d’anciennes collections, elle est désormais possible grâce au site géré en partenariat avec Les Cachotières. Ces outils rendront-ils la notion de shopping démodée ? Je ne pense pas. Au contraire, ils ouvrent à de nouveaux business modèles et à une autre clientèle pour un futur de la mode diversifié. »
4. Le shopping survivra-t-il à l’e-shopping ?
Gildas Minvielle, directeur de l’observatoire économique de l’Institut français de la mode : « Une ville sans magasins est impossible. Rassurons-nous, les points de vente ne sont pas morts, loin de là. Le marché de la mode a perdu 15 % de sa valeur depuis la crise des subprimes en 2007 et l’e-commerce gagne toujours plus de terrain, mais les deux univers sont compatibles. Car si le digital donne davantage de visibilité aux marques, les points de vente offrent de l’émotion. Prenons des marques DNVB (Digitally Native Vertical Brands) comme Le Slip Français ou Sézane : à un moment, elles ont senti la nécessité d’espaces physiques pour créer un point de contact avec le client. Cela génère ainsi des interactions intéressantes : ouverture de corners click & collect pour récupérer la marchandise achetée sur internet, possibilité de réserver en ligne des pièces vendues en boutique… Le champ des possibles est multiple et les clients jouent sur les deux tableaux. »
5. Le cuir résistera-t-il à la mode vegan ?
Marina Coutelan, responsable mode smart creation chez Première Vision: « Le Pinatex, les résidus issus de la viticulture, le cuir de pomme… les matériaux alternatifs au cuir se multiplient, séduisant de grands noms du luxe (Ferragamo), des équipementiers de sport (Nike et Adidas) et jusqu’à la fast fashion (H&M). Ces fibres présentent un double avantage : une optimisation des ressources de l’industrie agroalimentaire et la capacité à s’adapter à n’importe quel produit de maroquinerie. Mais faudra-t-il pour autant abandonner nos sacs et nos souliers en cuir pour se tourner vers du simili ? Je ne pense pas. Au contraire, rappelons-nous que l’industrie du cuir est l’une des pionnières en matière de recyclage. Le cuir de veau, d’agneau et de vachette provient avant tout d’animaux consommés en très grande quantité pour leur viande (300 millions de tonnes de viande sont absorbées chaque année dans le monde). Et quand bien même nous assisterions à une accélération du phénomène vegan, l’incinération des peaux serait une catastrophe environnementale ! Sans compter que nous assisterions à la disparition d’un savoir-faire d’excellence, accompagné de la perte de milliers d’emplois. En revanche, la vigilance devra se porter sur le procédé de tannage, généralement effectué à base de chrome, qui peut être très toxique autant pour l’homme que pour la planète s’il est mal utilisé et mal filtré. »
6. La fast fashion a-t-elle encore de l’avenir ?
Julie-Marlène Pélissier, responsible sustainability et corporate engagement chez H&M France : « La surconsommation n’est plus à la mode. C’est un fait. Notre ambition chez H&M est d’orienter, d’ici à 2030, toute notre production vers du 100 % durable et recyclé. Ce plan d’action vise à proposer une mode éthique, qualitative et, surtout, accessible. Un argument clé chez nous. Pour ce faire, nous avons créé la structure financière Co:Lab destinée à investir dans des start-up leaders en nouvelles technologies. À terme, nous comptons aussi former nos clients à réduire leur consommation en les aidant à entretenir leurs vêtements via le service H&M Take Care. Notre réactivité à suivre les tendances est aujourd’hui appliquée à la protection de l’environnement et aux besoins de la société. »
7. Quelles tendances pour révolutionner nos dressings ?
Caroline Beillerot, cofondatrice avec Delphine Robert du bureau de tendance Instinct :
« Avec la multiplication des phénomènes météorologiques, les gens vont vouloir
s’habiller pour pouvoir affronter ces conditions difficiles. D’où l’essor des vêtements issus du monde du sport et de l’habillement d’extérieur. On va constater une fusion des produits haute performance avec la garde-robe urbaine, en même temps que le développement de tissus intelligents et connectés, alimentés à l’énergie solaire ou corporelle, ou capables de s’adapter aux situations extrêmes et aux variations de température. Dans nos dressings, place à des pièces qui pourront voyager, avec des bermudas aux multipoches amovibles, des coupe-vent poids plume, des polaires colorées. Ce qui a longtemps été jugé comme inconciliable avec l’élégance se transformera en pièces tendance grâce à des designers pointus, comme Louise Trotter chez Lacoste. »
8. La mode peut-elle être à la demande ?
Adrien Garcia, auteur du podcast « Entreprendre dans la mode » et fondateur de la marque à la demande Réuni : « Le modèle économique de la mode a pendant longtemps fonctionné sur un principe relativement simple : produire d’abord, puis espérer vendre après. Cela représente un véritable risque commercial, financier et écologique, car, en cas d’invendus, on passe aux soldes, voire à la destruction des stocks, ce qui impacte l’image autant que les résultats de la marque. Dans cette optique, produire avec précision à la demande, en fonction des désirs du client, tant en termes de style, de tissus, de couleurs et de prix apparaît comme une solution privilégiée pour lutter à la fois contre la surproduction, la surconsommation et les gaspillages à tous les niveaux. Sans pour autant sacrifier la création qui aura bien entendu toujours sa place. »
9. Comment repenser les fashion weeks ?
Stéphanie Calvino, à la tête du collectif Anti_Fashion : « Au début des années 2000, la mode était un domaine élitiste et exclusif, avec des défilés opulents et hors de prix désormais mal digérés par les consommateurs. Pour éviter ce décalage, il faut commencer par agir de façon raisonnée. Premièrement, les jeunes designers doivent comprendre que le défilé n’est pas incontournable et qu’il existe bien d’autres façons de montrer les vêtements : internet, réseaux sociaux, présentation en live, bien moins chère que les shows traditionnels… Ensuite, les shows doivent s’ouvrir au grand public pour rapprocher les gens des créateurs. La fashion week est une machine à rêves qui montre des savoir-faire à pérenniser, mais elle devra faire preuve de plus de pédagogie, d’inclusivité et de responsabilité pour être en phase avec son époque. »
10. L’Afrique, nouvel Eldorado ?
Nelly Wandji, fondatrice du site marchand Moonlook, qui promeut et commercialise des directeurs artistiques africains : « Avec une nouvelle génération de designers sous le feu des projecteurs et un continent en croissance, s’intéresser à l’Afrique est devenu inévitable pour le luxe. L’organisation du défilé Dior Croisière 2020 à Marrakech, avec la mise en avant de l’artisanat africain, et l’attribution du LVMH Prize 2019 à Thebe Magugu sont des paris audacieux et gagnants. Mais il faut aller plus loin. En commençant par soutenir le “made in Africa” et les pays à tradition textile comme le Nigeria et l’Afrique du Sud, qui ont des fashion weeks très actives, notamment à Lagos. Avec des marques comme Nanawax, Maxhosa et Deola Sagoe, l’Afrique déborde d’inventivité, et la clientèle est très sensible à l’authenticité et au respect des racines. En ouvrant aussi un dialogue entre le luxe et la clientèle africaine, avec des concept stores qui mélangent références internationales et cultures plus locales. Un atout, à condition de créer un circuit économique fiable avec des gouvernements impliqués. »
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