François Demachy, Parfumeur-Créateur Dior depuis 2006, est l’un des plus grands nez de la parfumerie mondiale. Il est également la star du documentaire NOSE qui perce les secrets du métier de nez et met en lumière l’artisanat et le mystère qui entourent la création de parfums d’exception.

François Demachy est un homme discret au talent immense. Très respecté par sa profession, il est celui qui créé aujourd’hui toutes les fragrances Dior entre son laboratoire parisien et son fief des « Fontaines Parfumées » en plein cœur de Grasse.

LE TOURNAGE DE NOSE A-T-IL ÉTÉ UNE EXPÉRIENCE ÉVIDENTE POUR VOUS ?

Intéressante, oui. Evidente, non ! Je n’aime pas particulièrement m’exposer et je pense de toute façon que ce ne m’est pas mon rôle. De plus, ceux qui me connaissent s’accordent pour dire que je suis de nature réservée. Mais Arthur de Kersauson et Clément Beauvais ont été patients, observateurs ; ils sont venus « me chercher » et se sont attachés à montrer qui je suis, sans me dénaturer. Au final, le film NOSE est une approche authentique de ce que je fais, de mon métier, même si on fait toujours un peu attention à ses gestes devant une caméra.

ON PARLE BEAUCOUP DU « MYSTÈRE » DE VOTRE ACTIVITÉ, DU FAIT QUE VOTRE PROCESSUS CRÉATIF RESTE INSONDABLE.

C’est avant tout le parfum qui est mystérieux ! On s’échine à vouloir l’expliquer, le décrire, le disséquer mais c’est toujours incomplet. Je crois qu’un sillage, c’est comme l’amour. Ça ne s’explique pas.

CE FILM VOUS MET EN SCÈNE COMME UN ARPENTEUR EN QUÊTE D’INGRÉDIENTS NATURELS AUX 4 COINS DU MONDE. CET ASPECT DE VOTRE TRAVAIL ÉTAIT-IL IMPORTANT À VOS YEUX ?

Cet aspect était capital car, à mes yeux, la beauté d’un parfum passe aussi par la qualité de ses matières premières. Je ne minimise pas en cela l’importance de l’inspiration, de la création qui d’ailleurs se nourrit beaucoup de mes voyages mais les matières premières sont capitales. J’estime qu’un jasmin de Grasse ou une bergamote de Calabre aura toujours les nuances rares et les couleurs incomparables que je souhaite avant tout pour distinguer les parfums Dior. Dès que je suis arrivé dans cette maison en 2006, j’ai eu à cœur d’identifier des filières et de rencontrer celles et ceux qui les font vivre. Cela m’a valu de retrouver des coins extraordinaires, comme Madagascar pour l’ylang ylang que je connaissais bien ou encore l’Inde pour le jasmin sambac, qui ne cesse de m’émerveiller. J’ai pu également découvrir d’autres endroits que je ne connaissais pas.

LESQUELS ?

Pendant le tournage de NOSE, j’ai pu réaliser un vieux rêve qui était de me rendre au cœur des plantations de patchouli à Sulawesi en Indonésie. Le voyage a été assez… sportif ! Un petit avion, puis un 4×4 suivi d’une marche au milieu de nulle part, en traversant quelques villages isolés. C’était l’aventure, ce que j’apprécie déjà beaucoup, avec au bout une récompense magnifique : j’ai pu enfin découvrir mon ingrédient préféré dans son milieu naturel, sur des pentes escarpées. Même après tant d’années à créer des parfums, mon émerveillement est resté intact et la joie de rencontrer les cultivateurs locaux reste gravé dans ma mémoire.

Portrait de François Demachy.

Portrait de François Demachy. ©Dior Parfums

POUVEZ-VOUS NOUS PARLER DE CES RENCONTRES AVEC CELLES ET CEUX QUI CULTIVENT CES MATIÈRES PREMIÈRES QUE VOUS SÉLECTIONNEZ DANS LE MONDE ENTIER ?

Les parfums Dior n’existeraient tels qu’ils le sont aujourd’hui sans cette chaine humaine qui est essentielle à mes yeux. Un des grands intérêts de mon travail réside dans cette aventure humaine, dans ces échanges à la fois d’expertise, de compétences mais aussi dans l’amour de la nature qui nous unit. Il existe des moments magiques comme lorsque je suis dans un village en Indonésie, dépaysé à des milliers de kilomètres. Devant l’alambic chauffé au bois qui distille le patchouli, je retrouve pourtant mes marques et je voudrais presque prendre la place de celui qui distille, avoir les mêmes réflexes que lui. Cet échange autour des matières premières, ce partage autour des gestes qui accompagnent la fabrication d’un parfum est une émotion forte. Partout des liens se créent, comme au Sri Lanka où nous avons mis en place une sorte de « nursery » de bois de Santal car c’est un arbre aussi précieux que fragile qui demande beaucoup de temps (plus de 15 ans !) et d’attention pour s’épanouir. Avec les producteurs locaux, une confiance mutuelle s’installe que l’on scelle par une poignée de main qui compte autant qu’un contrat signé.

J’ai beaucoup apprécié de pouvoir accompagner Arthur de Kersauson et Clément Beauvais sur ces lieux pour qu’ils puissent filmer tous ceux qui œuvrent à cultiver des fleurs et des matières premières aussi nobles qu’indispensables dans nos parfums. Sans cette volonté commune, rien ne serait possible. Avec eux, nous soutenons une école du travail bien fait, de la qualité, du temps long et d’une confiance réciproque.

POUVEZ-VOUS NOUS PARLER DE LA PLACE PARTICULIÈRE OCCUPÉE PAR GRASSE DANS CES FILIÈRES ?

C’est là où tout a commencé et tout continue. A titre personnel, Grasse est la ville où j’ai grandi et qui m’a façonné. Je suis devenu parfumeur ici, en bénéficiant du savoir-faire de mes aînés et en vivant au milieu des champs de fleurs. Je dois tout à Grasse et je voulais lui rendre ce qu’elle m’a donné. J’ai donc œuvré pour que cette expertise et que ce terroir unique profitent à la maison Dior qui avait déjà ses racines en Provence grâce à la famille Dior qui s’y était installée dans l’entre-deux guerres ainsi qu’au « Château de La Colle Noire » qui a été la dernière demeure du couturier. Ce double ancrage, celui de Dior comme le mien, nous a mené vers des partenariats exclusifs avec de jeunes producteurs locaux. J’ai tout d’abord rencontré Carole Biancalana en 2006. Comme moi, elle est une enfant du pays passionnée par son terroir et déterminée à le préserver. Elle cultive le « Domaine de Manon » qui appartient à sa famille depuis des générations et a entraîné, grâce à l’association des Fleurs d’exception du pays grassois, d’autres jeunes gens qui viennent comme elle redynamiser la culture des fleurs à parfum. Comme Armelle Janody que l’on voit dans NOSE et qui est elle aussi partenaire de Dior, d’autres agriculteurs décident de se rallier à elles et cultivent à nouveau la rose de mai, le jasmin grandiflorum, la tubéreuse ou la fleur d’oranger. Toutes ces fleurs sont uniques, incomparables. Ce sont des trésors que nous sommes fiers de préserver ensemble.

COMMENT EXPLIQUEZ-VOUS QUE LA PLUPART DES PRODUCTEURS DE GRASSE DE CETTE NOUVELLE GÉNÉRATION SOIENT DES FEMMES ?

Il y a tout de même quelques hommes ! Mais il est notable que la majorité des partenaires Dior sont des femmes qui, souvent, avaient débuté des carrières de cadres dans des univers urbains. Toutes ont changé de vie, ont fait des choix radicaux. Travailler la terre est un sacerdoce et je dois dire que j’admire leur courage et leur détermination. Peut-être les femmes sont-elles plus à même de changer que nous, les hommes ? Ce doit être pour cela que Grasse est en train de renaître grâce à elles… Oui, je crois que je suis convaincu que les femmes savent changer elles- mêmes pour mieux changer les choses autour d’elles.

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