Elle, c’est Marie de Ma Ferme en Ville, une cantine-épicerie axée sur la local food. Lui, c’est Gabriel Caridi de Mio Posto, une osteria qui fait battre le cœur de l’Italie en Cité ardente. Ensemble, ils ont également ouvert Pinart, un bar à vin pour trinquer et grignoter. Couple à la vie et dans l’Horeca, ils sont plus que lassés par les mesures du gouvernement et cosignent cette carte blanche.
On s’y donne rendez-vous pour des lunches à la course, on s’y attarde en famille les longs dimanches de fête, on y a les souvenirs de nos premiers rencards, on y noue des contrats, on y crée des rencontres, on y rêve des projets, on y croise des amis, on y traîne tard la nuit. On s’en refile les noms comme des secrets à ne pas garder. On passe des heures à raconter ce qu’on y a mangé. On veut convaincre nos proches tellement on a aimé.
Des plus grandes villes du monde au plus perdu hameau, partout sur la planète, depuis la nuit des temps, on trouve des restaurants.
Quelle que soit la culture, quels que soient les climats, les traditions, les mœurs, de tous temps, en tous lieux, il y a eu des cafés.
On s’y entasse joyeux dans un dortoir d’auberge, on s’y prend pour des princes le temps d’une nuit en suite, on y bosse à pas d’heure dans les voyages d’affaires, on s’y sent comme chez soi, on y recrée son toit aux quatre coins du monde, ou à deux pas du nôtre. On y fait l’expérience de vivre d’une autre manière. Les hôtels nous accueillent quand nous prenons le large. Indispensables pôles sans qui pas de voyage.
Comment, cet invariant à toute l’humanité, peut-on sans se tromper le dire non essentiel ?
Comment tous les humains, à travers toute l’histoire, auraient-ils créé, développé, et partout mis en œuvre un même concept précis, si celui-ci n’avait pas répondu à un besoin fondamental ?
Qu’attend-on aujourd’hui pour leur rendre la vie, à ces lieux où se joue tellement de la nôtre ?
Encore plus de faillites ? Une énième tragédie ?
Le danger est partout, réel, pas question de le nier.
Mais les morts à la pelle des accidents de la route ont-ils jamais fait interdire les voitures ? Il y a un code de la route, des contrôles, des procès, des retraits de permis. Évite-t-on tous les décès ? Non, mais on réduit les risques à un niveau que tout le monde semble accepter, puisque tout le monde roule.
Que ne se dépêche-t-on de faire pareil pour l’horeca ?
Quand la politique de la maladie fera-t-elle enfin place à une vraie politique de la santé ? Une qui prenne en compte la santé mentale, la santé sociale, la santé globale de toute la société.
Les drames se multiplient.
S’il n’est pas tout à fait trop tard, il est déjà bien plus que temps.
Déjà plus d’un an que les établissements vivent au rythme des annonces et désannonces. On ferme, on rouvre, on n’a déjà plus un rond de côté mais on investit dans des plexiglas, des distributeurs de gel, des menus digitalisés. On condamne des tables. On refond tout le système de circulation des serveurs et des clients.
On referme.
On se lance, à corps et à fonds perdus, dans l’emporter, ça ne s’improvise pas. Et même si ça ne rapporte à peu près rien (moins de 10% du chiffre), on réfléchit aux contenants, à la logistique, au moins mauvais système de livraison, aux consignes pour réchauffer, à ce que ça va donner avec les équipements domestiques des clients. On réduit la carte. Les fournisseurs, en amont, qui n’ont aucune aide, font le gros dos.
On se réinvente un tout nouveau métier. On reste souriants face aux clients. On leur communique chaque revirement de situation. On passait nos vies entourés, dans le va-et-vient de nos établissements, on s’est transformés en geeks, cloués à nos sièges, esseulés derrière nos écrans, à osciller entre l’online banking et l’alimentation de nos réseaux sociaux.
Sept mois de fermeture en 2020.
Quelle entreprise peut survivre à ça ?
Des aides hyper-conditionnées, compliquées à obtenir, ultralentes à arriver. Et qui s’élèvent, grosso modo, si on fait la moyenne de toutes les situations, à quelque chose comme 15.000 euros. En tout et pour tout (toujours dans l’attente des modalités de la dernière offre promise…).
Pire, on parle de nous reprendre les miettes qu’on nous a données. L’horeca avait bénéficié d’une réduction de TVA à la première réouverture. Voilà qu’on entend que ça ne sera pas reconduit. Sans doute avons-nous trop bien gagné nos vies cette année.
On nous a accordé des reports de remboursement de nos crédits. Merci. Nous sommes maintenant fichés : jusqu’à apurement complet de ces derniers, impossible d’emprunter quoi que ce soit. Et même de demander une carte Visa !
On nous vante un prêt ricochet. Conditionné à un plan financier sur trois ans. Sans un sou pour rémunérer la construction d’un tel plan par un comptable, et abasourdis de devoir établir un plan prévisionnel sans date d’ouverture, sans timing, sans perspective, sans informations sur les conditions qu’on nous imposera, sans rien, une écrasante majorité d’entre nous renonce.
Nos équipes, qui ne demandent qu’à travailler, perçoivent depuis des mois 70% de leur salaire. Après avoir bossé tout l’été avec des masques dans la chaleur des cuisines, ou devant des fours à pizza qui montent à plus de 400 degrés.
Quand les impôts sur le droit passerelle tomberont, l’an prochain, on n’a aucune idée de comment on va les payer.
Chaque semaine qui passe, ce sont les économies de toute une vie qui partent en fumée.
Il est temps de mettre les décideurs devant leurs responsabilités, et exiger l’arrêt immédiat de notre endettement galopant et injustifié. N’étant ni responsables de la crise ni à la manœuvre pour la résoudre, nous exigeons :
- soit la prise en charge de nos dépenses réelles par une aide enfin proportionnelle aux charges de chaque établissement et enfin équitable entre Wallons, Flamands et Bruxellois (l’inégalité de traitement à ce jour est scandaleuse) ;
- soit, et il va sans dire que ce scénario a notre préférence, notre réouverture immédiate avec protocoles sanitaires stricts. Nous ne reviendrons pas sur les inestimables dommages sociétaux que causent nos volets fermés sur la population.
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