Ils traînaient au fond d’une boîte, rangés dans un tiroir, sous des paires de chaussettes. Malgré leur valeur pécuniaire, impossible de porter ces bijoux de famille tels quels : trop petits, complètement ternis et… moches (n’ayons pas peur des mots). M’est alors venue l’idée de les dépoussiérer pour en faire une bague toute neuve, ma bague vintage de conte de fées. Comment transformer des bijoux anciens en bague moderne de haute joaillerie ?
Je les connaissais depuis des années, parfois même depuis ma tendre enfance. Ces jolis bijoux de famille qui m’ont toujours émerveillée et fait tant rêver. Des bijoux chargés d’histoires et d’émotions. Ceux portés par les femmes que j’aime le plus au monde. Enfin, quand je dis jolis, je devrais plutôt dire plein de potentiel. Mon oeil de pie avait repéré quelques pierres précieuses intéressantes, mais niveau design, j’étais beaucoup moins séduite. Un jour, j’en ai eu marre de les voir se ternir indéfiniment et j’ai décidé de les rassembler et de les transformer en un bijou contemporain, que j’aimerais porter, le joyau de ma collection.
Depuis toute petite, j’aime admirer les bagues et colliers de ma maman. Tous ont une histoire. Ils racontent une étape importante dans sa vie, un voyage marquant, un anniversaire symbolique… Je crois qu’au fond, je suis aussi éblouie par l’objet en lui-même que par l’histoire qu’il raconte et qui traverse le temps avec lui, de façon quasi intacte. Mes bijoux représentent de petits et grands moments joyeux de ma vie que je porte au plus près de moi, à même ma peau et souvent près de mon coeur. C’est donc pleine d’excitation et d’inspiration que je me rends à Tervueren, dans l’atelier de Ghislaine Holvoet et Laurence-Marie Van Cauwenberghe, le duo complice à la tête de la société en création de joaillerie Mère & Fille.
Une histoire de famille
Si j’ai choisi de confier mon projet à ces deux femmes, c’est tout simplement parce que j’aime leur concept et leurs créations. Ghislaine et Laurence-Marie sont donc mère et fille et c’est en 2014 qu’elles décident d’unir leurs talents complémentaires pour assouvir leur passion : la création de bijoux.
Amatrice de pierres précieuses depuis toujours, Ghislaine décide de se spécialiser en gemmologie à la suite d’une mésaventure survenue lors d’un voyage en Inde. Elle y achète un saphir qui s’avère en réalité être un faux. Très énervée, et se jurant de ne plus jamais se faire avoir, elle entreprend des études à la Société belge de gemmologie dont elle sort diplômée deux ans plus tard. Elle décroche également la reconnaissance du Hoge Raad van Diamant d’Anvers.
Quant à Laurence-Marie, elle a le dessin dans le sang puisque plus jeune elle griffonnait déjà des bijoux dans les marges de ses cahiers. Dès sa sortie de l’école, elle entreprend des études dans ce domaine et sort diplômée des sections design en joaillerie, gemmologie et diamant du Gemological Institute of America (GIA). Dans leur duo, chacune possède ses spécialités, Ghislaine est l’experte des pierres, elle analyse et recherche les plus belles pièces, et Laurence-Marie s’illustre dans le volet plus créatif en dessinant les montures et les détails du bijou final. Elles forment une équipe complice et chaleureuse qui m’a touchée et je ne voyais pas de meilleures interlocutrices pour donner vie à la bague de mes rêves.
Un rêve qui a un prix
J’aime les bijoux imposants. Je n’ai malheureusement pas hérité des longs doigts fins et délicats de ma mère, mais plutôt des mains larges de sportive de ma grand-mère maternelle. J’opte donc de préférence pour des pierres précieuses qui attirent l’oeil et des montures en étage qui en jettent. Je trouve que plus le bijou est grand, plus mes doigts paraissent fins. Ma dernière obsession : la bague Audrey essayée lors d’une présentation presse de Mère & Fille. Elle était parfaitement à ma taille en plus. Un hasard ? Non, je ne crois pas ! Un jour peut-être qu’elle trônera fièrement à mon doigt puisque depuis que mes yeux se sont posés sur elle, je joue au Loto.
Blague à part, ne prenez pas peur pour autant. Les créations de Mère & Fille n’atteignent pas toutes la dizaine de milliers d’euros. Certaines commencent à quelques centaines d’euros alors que d’autres, c’est vrai, laissent rêveuse avec leur mystérieuse indication de « prix sur demande ». Le duo crée toutes sortes de bijoux : des bagues, des colliers, des bracelets, des boucles d’oreilles, des broches aussi, de très belles créations dont celles de la surprenante gamme Libellules dont les pièces sont réalisées avec des brillants fluorescents.
Concernant la transformation de bijoux anciens, il faut en toute logique prévoir quelques milliers d’euros de budget. Pourquoi si cher alors que l’on fournit les pierres, me direz-vous ? Eh bien, je vais vous répondre : parce que travailler à partir de bijoux existants demande justement quelques manipulations supplémentaires. Il faut analyser les pierres, les dessertir (un travail délicat), parfois faire fondre le métal, et ce, avant même que la première étape du nouveau bijou soit lancée en production. Bien entendu, tout dépend du style de bijou final que vous souhaitez. Un anneau simple et fin serti de quelques brillants n’aura pas le même prix qu’un bijou inspiré par la somptueuse bague Audrey.
Renaissance en sept étapes
Mon premier rendez-vous à l’atelier Mère & Fille. J’étale mes trésors sur la table du grand bureau en bois. La première étape, c’est discuter du projet et vérifier l’authenticité et la qualité des pierres. Même si la pierre est vraie, son niveau de pureté – et donc de qualité – est variable. Avec les bijoux anciens, il peut y avoir de belles comme de mauvaises surprises. D’ailleurs, pour éviter les drames familiaux, si le client ne formule pas clairement son désir de savoir si les pierres sont des vraies, on ne lui dit pas. L’arrière arrière-arrière-grand-père était-il un radin ? Moi, je veux savoir. J’apprends donc que le gros diamant rond est un vrai, mais qu’il n’est pas d’une grande pureté, idem pour les saphirs, vrais, mais pas d’une qualité incroyable. Ensemble, on sélectionne les plus belles pierres, celles que je préfère et qui seront exploitables. Mon choix se porte sur une parure collier et bague sertis de saphirs offerts par un ami de la famille à ma mère pour fêter ses 18 ans, une bague avec un diamant rond en solitaire hérité de ma grand-mère paternelle et une bague sertie de diamants que ma maman s’est offerte avec son tout premier salaire.
J’explique à Laurence-Marie rêver d’une bague, je choisis de réaliser sa structure en or blanc car je veux l’assortir à un autre bijou précieux offert par mes parents pour le Noël de mes 30 ans. On parle budget aussi. Tout est possible, mais il faut que j’ajuste un petit peu mes espérances avec ma réalité financière. Audrey est clairement hors budget…
Je donne plus de détails sur ce que j’aime et ce que j’aime moins, les montures rondes, carrées ou torsadées, les diamants ou les pierres de couleur, etc. Je montre des photos du style de bijoux que j’aime. Laurence-Marie écoute, pose des questions, cogite et réalise déjà à main levée quelques croquis rapides.
Lors du deuxième rendez-vous, les pierres libérées sont posées sur les différents dessins proposés pour me donner un meilleur aperçu du résultat final. Et c’est vrai que ça change tout ! J’imagine déjà beaucoup mieux le bijou que je porterai à mon doigt et le dessertissage a aussi permis de mieux jauger la taille réelle des pierres. Bonne surprise, certaines sont plus grosses que prévu. Laurence-Marie me propose de nouveaux dessins mieux adaptés à la taille des pierres. J’ai rapidement un coup de coeur pour un design. Je suis décidée. Je veux cette bague et je sais que l’attente va être longue jusqu’à la posséder enfin. Je suis surexcitée.
C’est à cette étape qu’un devis est fixé et un acompte demandé. Laurence-Marie va maintenant s’atteler à transformer son croquis en dessin 3D qui sera envoyé à l’atelier, à Anvers. Cette nouvelle étape permet de découvrir virtuellement le bijou en trois dimensions. Parfois, si c’est nécessaire et selon la complexité du design, une reproduction en cire de la monture peut être faite. Prochaine étape ? La réalisation de ma monture en or blanc par un orfèvre (l’étape la plus longue). Après la réalisation de la monture, place à la délicate étape du sertissage avant que le bijou soit poli et enfin livré.
Secret et artisanat
Anvers, capitale mondiale du diamant. C’est dans un de ces ateliers entourés du plus grand secret que mon nouveau bijou prendra vie. J’ai demandé à faire une visite. Non. Une interview d’un artisan ? Non plus. Une interview par téléphone ? Toujours pas. Je ne connaîtrai même jamais le nom ou la localisation précise de cet atelier. Sécurité oblige. Je recevrai une réponse par mail à quelques questions que Laurence-Marie aura transmises à son contact. Derrière cette discrétion imposée, des tas de métiers artisanaux qui méritent d’être mis en lumière et dont on sait si peu : dessinateur technique, orfèvre, tailleur de pierres précieuses, sertisseur, polisseur. Au total, un bijou passera entre les mains de quatre à sept artisans avant d’être terminé.
À Anvers, il existe deux écoles où la création de bijoux est enseignée, à l’Académie des Beaux-Arts et à Sint-Lucas. Les écoles techniques où apprendre les secrets du métier d’orfèvre se trouvent quant à elles à Anvers, Courtrai et Namur. Mais bien souvent, on retrouve parmi les orfèvres exerçant dans les ateliers anversois des hommes et des femmes venus de l’étranger et qui ont appris le métier en famille, depuis leur plus jeune âge.
Une pièce unique
La transformation m’a coûté 2.900 euros en tout. Si j’avais dû l’acheter neuve en bijouterie, son prix oscillerait entre 5.000 et 5.300 euros. Un budget, c’est vrai, mais aucun regret. Je la porte tous les jours. Je l’adore. Elle est si belle et j’aime raconter toute son histoire à qui me fait un compliment. Cette bague est un cadeau de moi à moi. Sans raison, si ce n’est que je trouve que je le mérite. Elle me réconforte chaque fois que je la vois, je connais l’histoire de chacune des onze pierres serties, elle est un peu de ma maman, un peu de ma grand-mère, un peu de moi. Elle est mon gri-gri précieux que je garde à portée des yeux.
A LIRE AUSSI
Bijoux en or recyclé : pourquoi vous devriez vous y intéresser ?
La fille du vendredi : Alicia Dubois, créatrice de la marque de bijoux Maison Vitola