“Pray Away”, c’est le nouveau documentaire fraîchement débarqué sur Netflix depuis le 3 août et qui nous offre une plongée angoissante dans le monde des thérapies de conversion sexuelle, pratiquées dans les milieux religieux fondamentalistes nord-américains.
« La thérapie de conversion vise à changer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne via un leader religieux, un conseiller licencié ou des groupes de soutien. Les principales associations médicales ou de santé mentale ont dénoncé la dangerosité de cette pratique ». Telles sont les mots qui ouvrent ce documentaire d’1h44 qui se penche sur l’horreur des thérapies réparatrices, aussi appelées thérapies de conversion.
“Jésus peut vous transformer”
Réalisé par Kristine Stolakis et produit par Ryan Murphy, “Pray Away : désirs martyrisés” nous emmène sur les traces d’anciens leaders de thérapies de conversion aujourd’hui repentis, de survivants de ces thérapies mais aussi de “gourous” actuels tels que Jeffrey McCall, fondateur d’un mouvement appelé Freedom March. C’est lui que l’on rencontre au tout début du documentaire. Avec son t-shirt noir sur lequel est inscrit en grand LOVE, il accoste les passants dans la rue pour promouvoir la parole de Dieu et prôner le christianisme comme moyen de guérir de l’homosexualité et de la transidentité. “Le Saint-Esprit peut vous donner de nouveaux désirs et de nouvelles envies”, exhorte-t-il aux inconnus qu’il croise ou sur les réseaux sociaux. “Jésus peut vous transformer”.
Les anciens leaders d’Exodus au parloir
À côté de cette démonstration moderne de thérapie de conversion, le documentaire s’intéresse surtout avec ambiguïté aux anciens leaders de ces mouvements, dont le plus tristement célèbre est Exodus International. Exodus prône l’idée que l’homosexualité est réversible grâce à la religion. Mais pas que, elle s’aide aussi de leaders charismatiques censés représenter d’anciens gays et lesbiennes convertis à l’hétérosexualité, des psychologues aux théories fumeuses et des accords politiques et commerciaux pour les soutenir. Si cette organisation est l’une des plus connues, elle est loin d’être la seule, puisqu’on apprend qu’au moins une centaine d’autres existent aux États-Unis.
“On nous disait : ‘commencez par rencontrer une femme et vous tomberez amoureux, il suffit de trouver une femme, une seule'”
L’association naît en 1976. À cette époque – comme encore trop souvent aujourd’hui -, être gay est considéré comme un crime ou une maladie. Nous sommes en pleine épidémie de sida, perçue comme “le prix à payer pour ses péchés”. Des jeunes sans repères, parfois expulsés de chez eux, trouvent dans Exodus un refuge où on les accepte, dans la religion, un soulagement, un cadre avec des règles claires à suivre. Michael Bussee, ancien leader et co-créateur du mouvement, raconte comment il se targuait à l’époque d’être devenu un “ex-gay” et encourageait les autres à suivre son exemple.
Mais le témoignage le plus passionnant (et stupéfiant) reste sans doute celui de John Paulk, également co-fondateur d’Exodus. Ce-dernier a épousé une ex-lesbienne, Anne Edwards avec qui il aura un fils. Ensemble, ils feront le tour des plateaux de télé pour prouver au monde l’efficacité des thérapies de conversion. Celui-ci raconte son mariage : “On nous disait : ‘commencez par rencontrer une femme et vous tomberez amoureux, il suffit de trouver une femme, une seule'”. “Maintenant j’arrive à dire que j’ai menti, j’en ai honte profondément”, déclare-t-il face caméra aux côtés de son compagnon actuel. “Mes mensonges ont causé du tord à beaucoup de gens. Des gens se sont dit qu’ils avaient forcément un problème, qu’ils étaient détraqués ou incurables, puisqu’ils n’arrivaient pas à faire comme moi”. Son mensonge éclatera au grand jour lorsqu’il sera immortalisé un soir sortant d’un bar gay.
L’homosexualité, cause de traumatismes enfuis
Parmi les autres témoignages édifiants, celui de Julie Rodgers est sans doute celui qui résume le mieux le parcours des survivants des thérapies de reconversion. La jeune fille a 16 ans lorsqu’elle annonce son coming out à sa mère, qui lui présente alors Ricky Chelette, une sorte de gourou d’une église baptiste d’Arlington, au Texas. Il enseigne aux jeunes LGBTQ+ comment “changer” leur sexualité par la lecture de la Bible, en bannissant la masturbation et le porno et surtout en priant.
“Le refoulement de mon homosexualité était l’axe central de ma vie”
“J’étais capable de me dévouer corps et âme vers la religion qui allait être ma voie vers la rédemption”, confie-t-elle. “Le refoulement de mon homosexualité était l’axe central de ma vie”. Chelette lui expliquera que la mauvaise relation avec sa mère ou des abus sexuels commis durant l’enfance et dont elle serait en déni sont autant de causes de son homosexualité. Elle quittera la communauté “Living Hope” à 25 ans. À cette époque, la proposition 8 vient de tomber.
La Proposition 8
Des bougies levées vers le ciel comme une veillée funèbre, avec des gens en pleurs dans les rues. Les images d’archives ne montrent presque rien et pourtant, elles sont insoutenables. Nous sommes en 2008, et la Proposition 8 visant à interdire le mariage entre personnes de même sexe dans l’État américain de Californie vient d’être approuvée. La proposition est inscrite le lendemain de son approbation dans la loi, constituant de fait un amendement de la Constitution de la Californie.
“J’étais sure que l’action était juste. Mais elle brise des âmes. Comment avons-nous pu faire ça ?”
Exodus jouera un rôle déterminant dans l’adhésion de milliers d’Américains à ce référendum durant les élections de l’été 2008. Bush et les républicains sont alors au pouvoir et le fer de lance d’Exodus est d’entraver les droits LGBTQ+ en contrant le mariage gay. L’argument principal ? Celui de la pente glissante : “pour l’instant ce sont les homosexuels, mais c’est la porte ouverte à toutes les dérives”. Les paroisses se sont toutes unies, sommant leurs fidèles de voter pour la proposition en jouant sur la peur. Pour beaucoup de membres comme Michael Bussee, Yvette Cantou ou Julie Rodgers, c’est le début de la remise en question d’Exodus : “J’étais sure que l’action était juste. Mais elle brise des âmes. Comment avons-nous pu faire ça ?”. C’est le début de la rédemption, et de la reconstruction aussi.
Aujourd’hui, Exodus a été démantelé. Mais de nouveaux mouvements continuent de voir le jour. Restored Hope est notamment né en récupérant d’anciens membres. Les anciens leaders ont été remplacés par d’autres. Approximativement 700 000 personne ont suivi des thérapies de reconversion aux États-Unis. Ceux qui en avaient fait l’expérience avaient deux fois plus de chance de commettre une tentative de suicide.
Infos sur Pray Away :
“Pray Away : désirs martyrisés” de Kristine Stolakis.
Où le voir ? Disponible depuis le 3 août 2021 sur Netflix
Le pitch ? Dans les années 1970, cinq hommes tourmentés par leur homosexualité, qu’ils estiment incompatible avec leur foi évangélique, initient un cours d’études bibliques pour s’entraider et renoncer à leur “mode de vie”. Plus de 25 000 lettres d’appel à l’aide plus tard, Exodus International voit le jour. Il s’agit de la plus grande organisation de thérapie de conversion au monde, et aussi de la plus controversée. Mais ses leaders ont un secret : leur propre “attirance pour les personnes du même sexe” n’a jamais disparu.
Après des années à être considérés comme des superstars par la droite chrétienne, nombre d’hommes et de femmes ont fait leur coming out LGBTQ, désavouant ainsi le mouvement qu’ils ont contribué à lancer. S’attachant aux parcours dramatiques d’anciens pontes de la thérapie de conversion, de membres actuels et d’un survivant, “Pray Away : Désirs martyrisés” raconte la montée en puissance du mouvement des “ex-gays”, l’influence qu’il conserve et le mal profond qu’il cause.
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