Quel skieur peut vivre sans neige ? Quel rugbyman ou marathonien à 40 ou 45 degrés ? Quel kayakiste dans des rivières à sec ? Autant de questions qu’il serait temps de se poser alors que le GIEC préconise dans son dernier rapport des températures avoisinant 50 °C dans le sud de la France en 2050.

Des montagnes vierges de toute neige, zébrées de fines lignes blanches de poudreuse artificielle. Il y a quatre mois à peine, en plein JO de Pékin, le monde « découvrait » avec une consternation teintée d’amertume les pistes qui allaient accueillir les épreuves de sports d’hiver à Yanqing et Zhangjiakou. Des régions connues pour ne pas voir tomber un flocon en hiver malgré le froid. « J’ai vu une station de ski se créer de toutes pièces (…) alors qu’il y a des infrastructures toutes prêtes dans d’autres pays. Il n’y a pas de neige, cela n’a pas de sens », témoignera sur Twitter la Française Perrine Laffont, championne olympique de ski de bosses en 2018. Ce n’est bien sûr pas le premier scandale écologique auquel le sport fait face. On se souvient encore des stades climatisés au Qatar ou des images de marathonien·ne·s victimes de malaises dans la chaleur suffocante de Doha lors des mondiaux d’athlétisme en 2019.

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Là où étaient organisées les épreuves de sports d’hiver des derniers JO ? Des régions connues pour ne pas voir tomber un flocon.

Le sport, un monde de contradictions

Le sport n’est-il pas synonyme de bien-être, de santé et d’activité en plein air ? Oui, mais c’est oublier toutes ses logiques contradictoires, qui lui confèrent d’ailleurs son caractère complexe et fascinant : coopératif mais compétitif, démocratique mais élitiste, tolérant mais souvent sexiste, bon pour la santé… mais toxique pour l’environnement. En 2015, Anne-Marie Heugas coécrivait un livre précurseur sur cet antagonisme inhérent au sport : « Sport et écologie : un esprit d’équipe ». 

Elle explique : « Prenons les JO, ce sont des événements rassembleurs qui cristallisent de belles valeurs humanistes, mais instrumentalisés politiquement. Le constat est particulièrement frappant quand on voit des dictatures récupérer les Jeux ou des décisions aberrantes pour la planète être prises sans que ça ne gêne personne. » C’est pourtant oublier à quel point la pratique du sport dépend d’un environnement sain. En 2020, WWF dévoilait dans un rapport accablant le scénario réaliste des sports dans un monde à +2 et +4 °C. Selon ses prédictions, la fréquence des canicules devrait doubler d’ici à 2050. Des épisodes de chaleur qui auront un impact considérable sur la santé, l’organisation d’événements, la qualité de l’air et les performances. Au-delà du fait que la pratique sportive soit déconseillée au-delà de 32 °C, l’augmentation des périodes de sécheresse rendra les terrains de football impraticables. Côté sports de glisse, deux mois d’enneigement en moins par an sont à prévoir. Sans parler des sports nautiques menacés par la montée des eaux. 

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© Glen Carrie / Unsplash

Plus possible de nier

Inutile cependant d’attendre 2050 pour voir les effets du réchauffement sur les compétitions sportives. En janvier 2020, durant un Open d’Australie sous 45 °C, plusieurs joueurs et joueuses ont été victimes de malaise et certains ont même été forcés d’abandonner en raison de l’air toxique induit par les mégafeux accrus par le réchauffement climatique. Au-delà des catastrophes naturelles, la simple augmentation de température pourrait diminuer de 9 le nombre de jours par an pour pratiquer du sport, et jusqu’à 24 jours dans le sud de la France. « Il faudra décaler les Jeux olympiques d’été. Certains lieux qui organisaient les JO d’hiver ne pourront plus le faire. C’est une réalité », explique Michael Ferrini, fondateur du magazine « Ecolosport ». « Les créneaux dans l’année vont se réduire, on ne pourra plus organiser autant de compétitions qu’avant. » 

Que reste-t-il à faire ? « Le mieux, c’est plus d’événements du tout », ironise Anne-Marie Heugas. « Il faut savoir où placer le curseur .» « La mobilité représente les deux tiers des émissions carbone d’un événement sportif, ce serait un bon début », explique Michael Ferrini. « On médiatise souvent le transport des sportifs, qui ne représente finalement qu’une trentaine de personnes, mais quand 60 à 80.000 personnes se rendent à l’autre bout du monde assister à un événement sportif, qu’est-ce que ça donne ? » Selon eux, il faudrait relocaliser et redimensionner les grands tournois (JO, Coupe du monde, Tour de France…) dont on évalue l’émission carbone entre 1 et 3 millions de tonnes de CO2 par événement. « L’Union européenne a son rôle à jouer », explique Anne-Marie. « Il faut imposer les lieux de compétition aux grands organisateurs internationaux. Quand on voit des championnats du monde à Sotchi ou Doha, c’est la honte. Non seulement pour l’environnement, mais aussi pour l’humain. Je ne parle pas uniquement des droits sociaux et du travail, mais aussi de la santé des sportifs. Il faut boycotter, et ça se joue aussi au niveau des sponsors et des financements. » 

La politique de la chaise vide fait depuis longtemps débat. L’exemple des États-Unis en 1980 est le plus souvent cité, lorsque le pays a décidé qu’aucun sportif américain ne se rendrait aux Jeux de Moscou, en signe de protestation contre l’invasion des troupes soviétiques en Afghanistan. Mais selon le géopolitologue Pascal Boniface, « cette époque est révolue, parce que les sportifs veulent participer, et un pays qui prendrait une telle décision se mettrait à dos sa propre opinion publique ». Quant à un boycott diplomatique qui aurait influencé un pays comme la Chine ou le Qatar à revoir leur politique ? « Cela ne s’est jamais vu. » La maîtresse de conférence et Maire adjointe déléguée aux sports à Montreuil propose à plus petite échelle de conditionner les subventions à l’écoresponsabilité, mais aussi à d’autres critères que l’écologie comme le taux de féminisation par exemple. En France, une « Charte des 15 engagements écoresponsables », créée par le ministère des Sports en partenariat avec WWF France, a vu le jour en 2017. Mais sa valeur est surtout incitative puisqu’elle se base sur l’engagement volontaire des signataires.

Héros ou zéros ? 

De par l’engouement qu’ils suscitent, les sportifs ont-ils un rôle à jouer ? Leur prise de position peut-elle conduire à une crise de défiance à l’égard de certains géants décriés ? Récemment, Ronaldo faisait le buzz sur la Toile en remplaçant les deux bouteilles de Coca face à lui par une bouteille d’eau en pleine conférence de presse. Un geste qui aurait soi-disant fait perdre 4 milliards de dollars à Coca-Cola, ce qui s’est ensuite avéré un brin extrapolé. 

Côté environnement, certains sportifs sont allés jusqu’à remettre en question la pratique de leur sport. La kayakiste française Sarah Guyot, après avoir calculé son empreinte carbone à 21 tonnes de CO2 par an, déclarait à « l’Obs » : « Pour polluer moins, il faudrait que j’arrête ma carrière sportive. » Un peu extrême ? Selon Michael Ferrini, « les sportifs ne sont pas exemplaires et on ne leur demande pas de l’être d’ailleurs. Beaucoup ne se sentent pas légitimes d’aborder ces enjeux. Pourtant, ils jouissent d’une aura beaucoup plus grande que les scientifiques qui ne cessent de nous alerter sur le sujet ». 

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En tête des pratiques les plus néfastes pour la planète, on retrouve le sport automobile, le ski ou encore letennis et le golf pour leurs balles perdues.

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Petit guide du sportif écolo 

Puisque le sportif amateur n’a généralement pas à traverser le globe ni à changer de maillot à chaque match (un autre non-sens écologique dans un monde où la sobriété s’impose), comment opérer à son échelle ? D’abord, il y a des sports qui polluent plus que d’autres. En tête des pratiques les plus néfastes pour la planète, on retrouve le sport automobile pour sa pollution atmosphérique et sonore, le ski pour ses quantités de neige artificielle ou encore le tennis et le golf pour leurs balles perdues. Paradoxalement, ce sont les sports en pleine nature qui semblent faire le plus de dégâts. Pour prendre l’exemple du golf, il faut en moyenne 5.000 m3 d’eau pour l’entretien d’un parcours, au-delà des engrais et pesticides utilisés. Aux États-Unis, on estime à 300 millions le nombre de balles égarées chaque année en pleine nature. 

À l’inverse, la course à pied est l’un des sports les moins polluants puisqu’il ne nécessite que deux jambes. Dans son ouvrage « Le guide de la consommation durable », Émilie de Morteuil donne quelques pistes à suivre. Elle conseille notamment d’aller courir en pleine nature pour éviter le dioxyde de carbone émis par les voitures et qui encrasse les poumons (ils ventilent quatre à cinq fois plus pendant l’effort). On préférera d’ailleurs courir tôt en matinée qu’en soirée, quand la circulation est moins dense. Le « plogging » a vu le jour, qui consiste à faire du jogging tout en ramassant des déchets. En matière de pratiques insolites, on citera aussi la pêche à l’aimant, pour dénicher des « trésors » cachés tout en dépolluant les lacs et rivières. Autre geste écologique, le choix de vêtements en matières naturelles (chanvre, lyocell, laine, coton organique) plutôt que synthétiques. La marque Patagonia gagne haut la main dans le domaine. En Belgique, il y a les marques Pure by Luce et Spreen Athletics. Ne pas se rendre en voiture sur son lieu de sport, prendre sa gourde, prolonger la vie de ses vêtements… Une basket de sport génère à elle seule 14 kg d’émissions carbone, ce qui revient à laisser une ampoule de 100W allumée pendant une semaine. En 2019, Veja sortait sa première chaussure de running écologique, à partir de matériaux recyclés et biosourcés. Le mieux reste encore de louer son matériel : skis, équipement de plongée, raquette de tennis, clubs de golf…

Bref, l’objectif n’est pas de dire adieu au sport ou de renoncer notre soif de divertissement. Comme dirait Yann-Arthus Bertrand, « nous sommes tous faits d’incohérences. Nous commettons tous des entorses à des principes de vie auxquels nous croyons pourtant très profondément ». Le seul enjeu est de faire en sorte de pouvoir vivre dans un monde où le sport est encore possible, ne plus rester dans le déni. 

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