Où sont les vieilles ? C’est un immense scandale qui ne scandalise personne. Au sexisme dont sont déjà sujettes les femmes au quotidien s’ajoute l’âgisme. Un phénomène qui dit enfin son nom, mais dont la lutte ne fait que commencer.

 « Je sais à quoi je ressemble. Je n’ai pas le choix. Qu’est-ce que je dois faire ? Arrêter de vieillir ? Disparaître ? », s’insurgeait Sarah Jessica Parker à la suite d’une salve de commentaires misogynes autour de « And Just Like That », le reboot de la série culte « Sex and the City ». Il faut dire que lorsque la série débute, Sarah Jessica Parker, Kristin Davis, Cynthia Nixon et Kim Cattrall n’ont qu’une trentaine d’années. En 2022, le trio qui a repris sans Kim Cattrall en a 55, et ça ne passe pas du tout pour certain·e·s. 

Il ne s’agit évidemment pas des premières – ni des dernières – actrices touchées par le phénomène. Pour ne citer qu’elle, Kate Winslet a fait de la lutte contre l’âgisme son fer de lance. Quand on a demandé à l’actrice dernièrement à l’affiche de « Mare of Easttown » si elle voulait que l’on coupe au montage son « bout de ventre  gonflé », elle a protesté d’un véhément « n’y pense même pas ». 

L’âgisme : Un fléau insidieux

Au-delà du faste et des paillettes d’Hollywood, le problème de l’âgisme concerne toutes les couches de la population. Au point que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le décrit comme un « fléau insidieux dont la société souffre » dans son rapport publié en mars 2021. Mais qu’est-ce que l’âgisme ? L’OMS le définit comme la discrimination d’une partie de la population en raison d’un critère bien précis : l’âge. Les personnes « âgées » restent bien sûr les plus touchées et cette discrimination pourrait être désormais plus répandue que le sexisme ou le racisme selon les études scientifiques.

Si l’âgisme inquiète autant, c’est aussi parce qu’il s’insinue dans toutes les sphères : secteurs de la santé, lieu de travail, médias et même dans le système juridique. Une attitude qui aurait des conséquences tellement négatives sur la santé mentale et physique des plus âgés et leur qualité de vie qu’elle coûterait chaque année des milliards de dollars aux sociétés. Paradoxalement, la population ne cesse de vieillir alors que 2 milliards de personnes dans le monde auront plus de 60 ans en 2050.

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“On demande aux femmes de faire l’effort, mais quand ça se voit trop, on leur reproche de tricher.” Marie Charrel, auteure de « Qui à peur des vieilles ? »

La cinquantaine, un âge pivot

Mais au-delà de l’aspect sociétal demeure l’expérience intime et bien souvent complexe que l’on se fait de son propre âge. Nous citions les 60 ans et plus, pourtant l’âgisme intervient bien avant cela. De ce côté-là, c’est souvent « double peine » pour les femmes, raconte Marie Charrel, auteure de « Qui a peur des vieilles ? », parce que l’âgisme se cumule au sexisme dont elles sont déjà victimes tout au long de leur vie.  

La cinquantaine est souvent l’âge pivot. « C’est un âge relié à la ménopause, comme s’il s’agissait d’une espèce de cap symbolique au-delà duquel les femmes, en perdant la fertilité, perdraient autre chose : leur pouvoir de séduction, leur valeur en somme », explique la romancière et journaliste. « Quand les hommes prennent de l’âge, le champ lexical est globalement plus positif », ajoute-t-elle. « Les cheveux blancs symbolisent le charme, la sagesse, l’expérience. À l’inverse, on demande aux femmes de faire l’effort, mais quand ça se voit trop, on leur reproche de tricher. »

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En mettant en scène trois cinquantenaires, le reboot de « Sex And The City » s’est attiré les foudres de celles et ceux qui, dans une société patriarcale, ne supportent pas de voir vieillir les femmes. © Craig Blankenhorn : HBO Max

Ce qui ne signifie pas que les hommes ne sont pas eux aussi victimes d’âgisme, mais que cela prend des atours différents. « Initialement, l’expression “OK boomer” s’adresse au vieil homme blanc de 60 ans qui ne comprend plus rien à l’âge du monde », explique Vincent Cocquebert (« Millennial Burn-Out », éditions Arkhê). Selon lui, c’est d’ailleurs au moment où de plus en plus de femmes expriment leur ras-le-bol que l’on observe des hommes réaliser des colorations, faire du sport et de la musculation. Bref, faire de plus en plus attention. Le journaliste explique néanmoins que l’identité féminine a été davantage essentialisée à partir de l’apparence que l’identité masculine, en tout cas dans les imaginaires construits culturellement, « ce qui n’en demeure pas moins profondément sexiste ».

Une obsession du jeunisme

Mais comment un tel phénomène a-t-il pu se déployer ? Comment en est-on arrivé à vouloir se rajeunir ou ne plus donner son âge sur les réseaux ? Pire, à invisibiliser les femmes d’un certain âge ? Selon Vincent Cocquebert, « notre société s’est construite autour d’un idéal de jeunesse qui valorise la nouveauté, la fluidité, l’adaptabilité… » et dans lequel on puise nos standards de beauté. « C’est ce qui est considéré comme glamour, ce qui fait vendre. » Marie Charrel parle quant à elle d’un véritable « aveuglement collectif ». Les pays occidentaux vieillissent de plus en plus, mais continuent à se percevoir avec des corps de vingtenaires/trentenaires. Derrière ce comportement, une obsession du jeunisme en partie, une volonté de conjurer la mort et la maladie aussi et une réelle difficulté à être adulte aujourd’hui, à se projeter et à imaginer un futur désirable.

Pour les femmes, l’âgisme apparaît ainsi comme une manifestation de plus des inégalités auxquelles elles font face tout au long de leur vie. « Le monde de l’entreprise est particulièrement parlant », explique Marie Charrel. « L’écart salarial se crée dès leur arrivée avec les suspicions de grossesse. Mais ça ne s’arrange pas avec l’âge où leur salaire inférieur leur permet une retraite plus petite et où elles sont davantage sujettes au chômage. » Vincent Cocquebert renchérit : « Vous êtes junior à 30 ans, senior à 50 puis le taux d’emploi et de formation chute drastiquement, comme si vous n’étiez plus très utile en gros. On imagine que quelqu’un de 50 ans ne voudra plus bouger ou se former. Alors que quand on pose la question, la majorité dit oui ! » 

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© Shutterstock

Ôter la cape d’invisibilité

Sophie Dancourt est la fondatrice du média digital « J’ai piscine avec Simone » qui donne de la visibilité aux femmes de 50 ans et plus. Elle fait partie de la génération de femmes qui s’est emparée du web et des réseaux sociaux pour faire évoluer le débat sur l’âgisme, comme en témoignent les campagnes mondiales #OldLivesMatter ou #GreyPride. Pour elle, « la déconstruction passe d’abord par le fait de montrer des cinquantenaires ou soixantenaires proches de nous, qui changent de vie, montent leur boîte. Ce sont des modèles qui existent, on ne les fabrique pas. On leur a mis une cape d’invisibilité, c’est tout ».

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“On ne peut pas inculquer aux femmes qui ont 25-30 ans qu’il leur reste 15 ans et puis c’est terminé.” Sophie Dancourt, fondatrice du média digital « J’ai piscine avec Simone »

Une démarche de visibilisation qui s’inscrit comme un acte d’émancipation, mais aussi comme une façon de permettre aux nouvelles générations de se projeter sainement dans l’âge. « On ne peut pas inculquer aux femmes qui ont 25-30 ans qu’il leur reste 15 ans et puis c’est terminé », explique Sophie Dancourt. « On veut des progrès en entreprise ou en politique, mais rien qu’au cinéma on ne sait plus à quoi ressemble une femme de 50 ans », renchérit Marie Charrel. Dernièrement, le film « Eiffel » faisait parler de lui en faisant le choix d’une actrice de 25 ans (Emma Mackey) pour jouer la muse d’un acteur de 47 ans (Romain Duris). Même polémique pour le film « Napoléon » de Ridley Scott dont les comédiens Joaquin Phoenix et Jodie Comer ont respectivement 46 ans et 28 ans, quand la future impératrice avait… 6 ans de plus !

« Déconstruire les imaginaires, c’est très long. Ce n’est pas quelque chose qui va se faire sur dix ou vingt ans », prévient Vincent Cocquebert. Marie Charrel rappelle finalement que l’âge pour les femmes peut aussi être source de libération et d’empowerment. Vieillesse rime alors avec « puissance et indépendance, après une vie de travail accompli ». C’est se connaître mieux et être moins dépendante des attentes d’autrui. C’est se dire « si j’ai envie de dire merde, je dis merde et ce n’est pas grave », et ça fait un bien fou.

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