De l’iconique Maison tout le monde connaît le Monogram, mais rarement les origines. Les sacs et la bagagerie légendaires sont nés de l’obstination et de la résilience d’un artisan visionnaire, dont la griffe influence le luxe depuis le Second Empire.  

Dans son ouvrage « Louis Vuitton, l’audacieux », la romancière Caroline Bongrand revient sur le parcours de l’homme qui a précédé le mythe du voyage. En 1835, Louis est âgé d’à peine 14 ans lorsqu’il quitte le moulin de son père, en sabots et les poches vides, pour échapper à sa marâtre. Petit Poucet déterminé, il a survécu en se nourrissant d’escargots, de baies et de noix, créant son propre chemin. Comme dans les contes. Par la suite, les fées se sont d’ailleurs penchées sur les malles qui ont bercé son succès. En patois jurassien, Vuitton signifie « tête dure ». Il avait aussi les pieds résistants, puisqu’il a mis deux ans à marcher sur Paris. L’adolescent particulièrement pugnace y a trouvé un apprentissage professionnel chez Monsieur Maréchal, réputé layetier-coffretier-emballeur (le layetier fabriquait coffres et caisses en bois servant à emballer et transporter les effets des voyageurs et voyageuses nanti·e·s) installé sur le faubourg Saint-Honoré. Rapidement, il s’est démarqué. Passionné d’innovation, il fonde sa première boutique 4 rue Neuve-des-Capucines, en 1854. Coqueluche et ami sincère de l’impératrice Eugénie, il n’a eu de cesse de créer des bagages adaptés aux désirs les plus extravagants et aux explorations géographiques de l’époque, écrivant sa vie comme une épopée moderne. Depuis bientôt 170 ans, la maison fondée par Louis Vuitton a étendu sa maîtrise du luxe au prêt-à-porter, à la haute joaillerie et à la parfumerie, faisant voyager son savoir-faire sur tous les continents. Caroline Bongrand a remonté les chapitres de cette fabuleuse saga, jusqu’au petit moulin à eau d’Anchay. 

Il était une fois, un enfant prodigieusement habile de ses mains

Un siècle et demi les sépare, mais leurs histoires se sont liées autour de la résilience de l’enfance. Il y a huit ans, un ami qui travaillait chez Louis Vuitton a raconté à Caroline Bongrand les premières années poignantes de ce petit garçon, qui rassemblaient tous les ressorts des contes classiques. « Quand on pense à Louis Vuitton, on n’imagine pas que son destin a commencé comme un récit initiatique, le parcours d’un enfant qui a non seulement survécu dans des conditions extrêmement difficiles, mais qui est à l’origine de nombreuses innovations, et qui a fondé une dynastie dans le Second Empire naissant. À sa manière, il a contribué à faire l’époque. » Louis comprenait, et comprenait vite. « Il a eu l’intuition de s’entourer des bonnes personnes. » L’auteure cite Louis Pasteur : « Le hasard ne favorise que les esprits préparés. » Cet enfant, alors illettré comme c’était souvent le cas à l’époque (il s’instruira plus tard), a résisté dans la forêt deux hivers et deux étés, puis à Paris, qui était loin de la ville qu’on connaît aujourd’hui. Pour recueillir l’importante somme de documentation nécessaire à l’écriture de ce roman biographique, Caroline Bongrand a rassemblé des archives d’époque, nombreuses à partir de 1870. Pour la période précédant la guerre franco-prussienne, il lui a fallu explorer les témoignages laissés par les enfants et petits-enfants, et effectuer des recherches approfondies sur le Jura. « J’ai lu des dizaines de livres sur les conditions de vie des gens de l’époque. C’étaient des existences dures, consacrées à gérer le quotidien avec le strict minimum, et globalement très peu à manger. J’ai étudié la manière dont on vivait dans les maisons, et j’ai contacté le maire actuel d’Anchay, qui m’a conseillé de me procurer les livres de Colette Merlin, auteure spécialiste de cette période. » Une enquête minutieuse, qui l’a même amenée à acquérir des notions de menuiserie… 

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« Petit poucet déterminé, il a survécu en se nourrissant d’escargots, de baies et de noix, créant son propose chemin »

Une nouvelle histoire de famille 

« Puisque sa marâtre le maltraitait et que son père laissait faire, Louis rêvait de créer sa propre famille, aimante, solide. » Après s’être sorti de sa condition, il n’a plus jamais revu son père, mais a retrouvé sa fratrie vers ses 30 ans, avec beaucoup d’émotion. Ses frères et sœurs savaient qu’il vivait à Paris, et connaissaient l’adresse de son lieu de travail, qu’il leur avait communiqué par lettre. Ils l’ont surpris un jour, se présentant devant la vitrine de l’atelier. Tout le reste de sa vie, Louis restera proche d’eux. « C’était un homme très fidèle, loyal, mais il ne revenait jamais en arrière. » Il s’est marié relativement tard pour l’époque, vers le milieu de la trentaine. Selon l’écrivaine qui a mené un réel travail d’historienne, « Louis travaillait beaucoup, il était sans doute de ce que l’on appelle aujourd’hui les personnalités à haut potentiel. Il était timide, et pas très à l’aise dans les relations de séduction ». Un jour, Monsieur Maréchal a évoqué la fille célibataire de l’un de ses fournisseurs. Rencontre, coup de foudre. Émilie était plus jeune que Louis, mais elle avait toujours baigné dans l’activité de son père : très au fait de la manière dont il convenait de mener les affaires, elle a activement contribué au succès de son mari. 

Les rencontres décisives 

Eugénie de Montijo, l’autre femme importante depuis l’adolescence, deviendra impératrice. Elle avait 16 ans lorsqu’ils se sont rencontrés. Toute jeune cliente parisienne issue de l’aristocratie espagnole, elle faisait emballer ses affaires et ses toilettes par Monsieur Maréchal. Louis se déplaçait chez elle pour chercher ses bagages. Ils sont rapidement devenus amis et confidents. Lorsqu’elle a épousé Napoléon III en 1853, non seulement elle a fait de Louis son emballeur officiel, mais elle l’a aidé à créer sa maison. Encouragé par ces deux femmes influentes et bienveillantes qui l’enjoignaient à se mettre à son compte, il a enfin fondé la célèbre enseigne à son nom en 1854. Louis est resté lié à Maréchal, qui avait fait figure pendant 18 ans de mentor et de père. Pourtant, au début, il n’avait même pas voulu l’embaucher. Devant l’insis- tance du jeune homme, il avait accepté de le prendre à l’essai. Louis savait tout faire : pendant les deux ans où il avait dû survivre, il avait été recueilli entre autres par un vieux menuisier qui lui avait tout appris de son art. Après cet apprentissage, il était réellement capable de tout fabriquer, connaissait chaque espèce de bois. Il maîtrisait les gestes, les outils et les matériaux. Monsieur Maréchal a vu briller l’or dans ses mains, et l’a pris sous son aile.

Un homme intègre et visionnaire 

Selon Caroline Bongrand, « Louis est toujours resté très sensible à la cause des ouvriers. Il avait l’humilité et la modestie chevillées au corps. C’était un homme droit à qui rien ni personne n’a tourné la tête. Ni la vie de palais ni la haute société. Toutes les personnalités de l’époque, musicien·ne·s, artistes, explorateurs et exploratrices se fournissaient chez lui. En tournée, Sarah Bernhardt emportait 200 de ses malles avec elle. En 1860, il était la coqueluche de Paris, mais il est resté un homme de famille, celle qu’il avait fondée, et celle de ses artisans. D’ailleurs, sa maison privée était intégrée aux ateliers. C’est ce qu’on appelle l’esprit de corps. C’était un patron visionnaire, avec le souci du bien-être et de la sécurité de ses ouvriers. Il avait installé de grandes fenêtres dans les ateliers pour que les jour- nées de travail soient baignées de clarté. Je suis persuadée que si la maison a perduré, c’est parce que son socle de valeurs était extrêmement solide. Elles n’ont pas changé, fondées sur une grande créativité, sur la volonté de ne jamais se reposer sur ses lauriers et d’innover dans un esprit pionnier. C’est une maison audacieuse. Dans le monde du luxe, Louis Vuitton est sans doute celle qui ose plus, et à un tel niveau ». Caroline souligne aussi l’esprit international cultivé dès les origines de la maison : « Louis regardait vers l’Angleterre, son fils vers les États-Unis. » Très tôt, les ateliers ont travaillé pour une clientèle cosmopolite de voyageurs et voyageuses, exactement au moment du développement des transports transcontinentaux, dont le chemin de fer et les balbutiements de l’automobile. « Puisque Louis connaissait très bien les propriétés de tous les types de bois, il calibrait les matériaux et la conception de ses malles en fonction de leurs destinations et des climats qu’elles allaient traverser. Il réfléchissait à l’étanchéité, à l’isolation, à la conservation parfaite de ce qui était transporté, en conditions extrêmes parfois. L’excellence et l’ouverture sur le monde étaient dans les fondations de la marque. Le succès de la maison Louis Vuitton aujourd’hui, sa force, c’est la cohérence entre la vision de son fondateur et le développement de ses valeurs. » Un savoir-faire et une créativité qui ont traversé l’Histoire pour écrire celle de cette maison fondée par un adolescent qui rêvait loin, devenue l’un des piliers du luxe contemporain.

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« C’est une maison audacieuse. Dans le monde du luxe, Louis Vuitton est sans doute celle qui ose le plus, et à un tel niveau »

* Éditions Gallimard, collection « Hors-série Littérature ». Disponible dans les boutiques Louis Vuitton.

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