Il est spontané, solaire, et ponctue chaque phrase d’un éclat de rire. À 29 ans, Brandon Wen est bien plus jeune que la prestigieuse école de mode dont il vient de prendre la tête. Nouveau directeur du département stylisme de l’Académie d’Anvers, il respire la créativité du sol de ses salles de cours au plafond de son vestiaire chamarré.
La séance photo qui raconte son univers a été programmée en pleine préparation des examens de janvier de ses étudiant·e·s. Un moment chargé en émotions pour le nouveau pédagogue, très investi dans le futur de ses élèves. Il a pris ses fonctions en septembre et, lui-même diplômé en 2019, aborde pour la première fois l’étape des jurys de l’autre côté du bureau. « Je suis à la fois très enthousiaste et très stressé pour celles et ceux qui sont un peu à la traîne, parce que je sens leur potentiel, et je crains qu’ils ne soient déçus. Je vais défendre leurs projets, tout en appuyant mon point de vue. »
«J’AIDE LES ÉTUDIANT·E·S À TROUVER EN ELLES et EUX CE QUI FAIT LE PLUS DE SENS, PUIS À METTRE EN OEUVRE TOUS LEURS ATOUTS »
Les contextes d’harmonisation par l’équilibrisme, il connaît : le sort de l’une des institutions créatives les plus valorisées du pays, dont l’influence est nourrie du rayonnement de sa belgitude, repose désormais – notamment – sur un Californien aux racines espagnoles et chinoises, remarquablement polyglotte. Il ponctue ses phrases en anglais de « allez » du plus charmant flamand, parle néerlandais et français comme s’il avait grandi à deux rues de l’Académie, maîtrise parfaitement deux langues de plus. À l’image de l’école, très internationale, qui forme de nombreux·ses élèves venu·e·s du monde entier, et souvent d’Asie. Proche de la « famille Rick Owens », il était avant d’intégrer les bancs d’Anvers déjà riche d’un bachelier en design à Cornell, une université new-yorkaise. « C’était intéressant, mais plutôt orienté vers la technologie et pas assez axé sur la créativité. »
À ce propos, on lui demande ce qu’il pense avoir déjà transmis à ses élèves depuis la rentrée. Sa voix sourit : « Je ne sais pas ce que je leur ai appris, mais je sais ce que j’essaie de leur apprendre : à utiliser au mieux leurs outils, à garder leur self-confiance – la confiance, c’est la clef – et à développer leur éveil. Quand certain·e·s ont un processus un peu chaotique, je les aide à trouver en elles et eux ce qui fait le plus de sens, puis à mettre en œuvre tous leurs atouts. »
Ce que lui a appris au cours de ces quelques mois dans son nouveau costume de responsable d’atelier ? « Comment livrer des critiques sans être cassant, mais constructif, à guider sans brimer l’enthousiasme. J’ai appris à exprimer ce en quoi je crois, à pousser les évolutions que je sens importantes. C’est délicat, parce que l’on travaille en équipe pédagogique et que parfois, ça demande de la souplesse. On arrive à un tournant dans les écoles de mode, où les étudiant·e·s veulent plus que jamais dialoguer, ils ont souvent eu un parcours avant, et parallèlement à ces attentes, je dois m’intégrer à un système que je n’ai pas créé. J’intègre toutes les dimensions de ma mission par l’expérience. »
«L’IDÉE N’EST PAS FORCÉMENT DE LANCER UN NOUVEAU BALENCIAGA : UNE PLUS PETITE MARQUE PLEINE DE POTENTIEL, C’EST PARFAIT AUSSI »
Ses projets pour l’Académie d’Anvers
Brandon a préparé sa rentrée en coordination avec l’ensemble des enseignant·e·s : « Le début de l’année a été très productif, l’équipe est forte, tout le monde est à bord. Mais cette prise de fonction comporte aussi des dimensions complexes, au niveau des décisions à prendre pour l’Académie, des choix pédagogiques à faire, en sachant parfois que certains ne seront pas forcément les plus populaires. » Partagé entre excitation et responsabilités, il souhaite que « les étudiant·e·s se sentent libres de trouver leur identité créative. Je les pousse, et j’apprends à être critique même quand c’est inconfortable, parce que c’est pour un mieux ».
Être directeur, c’est comme il s’y attendait ? Il rit – c’est son enthousiasme signature : « Je ne savais pas à quoi m’attendre ! J’avais bien compris qu’il y aurait du jonglage, ça ne m’a donc pas surpris. J’ai parfois été un peu bousculé par la gestion des attentes et des émotions. Je comprends mieux certaines décisions de Walter maintenant ! Je mesure réellement l’importance de préserver les conditions de travail, de poser des choix avec clarté, de maintenir la concentration. Ouvrir toutes les portes à tous les vents c’est une belle idée théorique, mais en pratique, pour approfondir, il faut parfois compartimenter. C’est un art, de rester très à l’écoute et de savoir s’organiser pour cibler les bonnes énergies et les caps à tenir. »
Prenant la suite de Walter Van Beirendonck qui a dirigé l’école pendant 15 ans, vu l’inévitable pression liée à sa fonction, on se demande s’il a appelé son prédécesseur depuis septembre dernier, en quête de l’un ou l’autre conseil : « Non, pas vraiment. Je sens qu’il me laisse de l’espace, il me permet de me définir dans mon nouveau rôle. Moi-même, j’ai sans doute aussi besoin de faire mes propres expériences et mes erreurs. Je suis mon intuition et je discute avec les autres professeurs. Nous sommes tous très pris par nos missions, mais les enseignant·e·s me témoignent qu’ils perçoivent une bonne énergie, que les élèves sont super motivés. »
Sa voie(x) à lui
Parmi ses nombreux projets, il parvient tout de même à se ménager un peu de temps pour peindre et sculpter, pour explorer son propre univers. « Je me laisse cette première année pour décider ce que je montrerai par la suite. C’est pour ça que j’ai adoré le shooting avec ELLE : il m’a offert l’opportunité de remettre mes créations en situation. Il y a des travaux chez moi en ce moment, mes sculptures sont aussi en pleine élaboration. À l’école et chez moi, c’est un moment de construction. » Son temps libre se faufile pendant les week-ends, « mais ça demande de la flexibilité parce que mes amis sont aussi très occupés ». Comment trouve-t-on sa place dans la très observée – et plébiscitée – École anversoise quand on a été construit d’influences aussi variées ? « J’essaie de mixer ce qu’il y a de meilleur dans cet héritage, et d’apporter des changements là où c’est possible. De créer un équilibre entre ce dont on a besoin de la part de l’Académie, ses piliers comme le dessin, et une dimension d’innovation. Même si on peut dessiner par ordinateur par exemple, c’est important de savoir aussi tenir un crayon. »
«J’AI SANS DOUTE AUSSI BESOIN DE FAIRE MES PROPRES EXPÉRIENCES ET MES ERREURS »
Quelques jours après cet entretien, nous l’avons revu à Paris, à l’occasion du show automne/hiver 2023 de Walter Van Beirendonck, dont il suit toujours le travail avec admiration. Serein, même si le très attendu défilé de l’Académie d’Anvers en juin prochain, c’est quasi demain. Il assistait dans la foulée à celui de Rick Owens, son autre mentor, avant de prendre le premier train vendredi matin pour enseigner à la nouvelle génération de mode « belginternationale ».
Un nouveau chapitre, une autre impulsion
Les collections qui seront présentées à la fin de l’année sont encore en cours d’élaboration, et pour l’instant, selon les observations du jeune directeur, « les étudiant·e·s sont très excités par la perspective du défilé de l’école, moins qu’ils ne sont stressés, ce qui est un bon signe. À chaque étape, ils progressent ». Bien sûr, Brandon perçoit déjà celles et ceux qui ont le potentiel de percer : « Ce sont les plus motivé·e·s, avec un travail d’une très grande qualité, mais qui communiquent aussi beaucoup, qui collaborent en équipe, qui font des propositions fortes. C’est une promotion soudée, avec une bonne représentation de la diversité. Dans mon groupe, en troisième année, les étudiant·e·s viennent de partout dans le monde. » Il ajoute, et on sent qu’il le pense : « Ils sont géniaux, je les adore. »
Lui-même, qui a fait défiler sa collection diplômante il y a seulement quatre ans, qu’attend-il de cet événement ? « Plus que tout, j’espère partager un moment de super-dynamisme, où s’exprimeront des opportunités pour le futur. L’idée n’est pas forcément de lancer un nouveau Balenciaga : une plus petite marque pleine de potentiel, c’est parfait aussi. Je souhaite qu’on ressorte tous du show avec une perspective directe vers l’avenir. »
Un nouvel horizon de mode, sur une palette arc-en-ciel.
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