Pouvez-vous nous raconter ce qui vous a séduit dans la musique et comment la harpe est-elle devenue votre instrument de prédilection ?
Je chante et danse depuis toujours. Et très tôt, j’ai commencé à écrire mes propres chansons. Quand j’étais toute petite, j’allais jouer chez une copine. Et quand j’entrais dans le salon, il y avait plusieurs harpes, sa mère était harpiste à l’Opéra. Ce fut vraiment un coup de foudre entre moi et cet instrument magistral. Quand j’ai dû en choisir un en école de musique, je n’avais aucun doute : la Harpe !
En quoi vos racines éthiopiennes se reflètent-elles dans votre musique ?
Je suis née en Éthiopie. Je n’ai jamais connu mon père et ma mère est décédée quand j’avais 3 ans. Je me suis ensuite retrouvée dans un orphelinat avec mon frère et de là nous avons été adoptés par un père néerlandais et une mère belge francophone. Quand j’étais petite, mon frère et moi parlions encore l’amharique et nous chantions ensemble des chansons éthiopiennes. Mais avec le temps, nous avons oublié ce langage.
Je pense donc que l’influence directe de l’Éthiopie sur ma musique est souvent inconsciente, au niveau du rythme et du timbre, ce qui fait que j’ai une grande affinité avec des genres comme l’Ethio-jazz, le Reggae et le Tribal.
J’ai longtemps pensé- comme beaucoup – que mes racines étaient liées à un lieu géographique ou à une culture spécifique, alors que j’ai découvert plus tard que nos racines se trouvaient en réalité à l’intérieur de nous-mêmes et ont avoir avec notre propre regard. Beaucoup de mes chansons parlent de cette expérience, comme « J’ai changé mon nom », « Fear or Love » ou « Frame of love » écrite pour ma mère biologique.
Votre musique mélange plusieurs influences: le jazz, le blues, le trip-hop et la dance. Comment définiriez-vous votre approche de la création artistique ?
J’aime tous les genres musicaux – de la musique classique aux chansons et le blues, du jazz au trip-hop et à la dance, et tous ces genres m’inspirent également.
Mes chansons partent d’un certain sentiment dont découlent les paroles et la musique.
Je n’arrive pas vraiment à expliquer pourquoi certains sentiments s’expriment naturellement dans une certaine langue : parfois j’écris en néerlandais, parfois en français et souvent en anglais.
Pourriez-vous nous partager l’inspiration derrière votre dernier album ou single ?`
L’inspiration de « ZEM Tells a Story » est l’expérience de se retrouver et de se voir tel que l’on est, et donc d’avoir la force de se détacher du regard des autres et d’être complètement soi-même.
Comment conciliez-vous la tradition et l’innovation dans votre art ?
Dans notre culture, la harpe est considérée comme l’instrument classique par excellence.
Et moi-même j’ai également étudié la harpe de manière très classique – jusqu’à devenir l’élève privé de Susanna Mildonian, l’une des harpistes européennes les plus renommées.
Mais être harpiste dans un grand orchestre classique ne m’attirait pas vraiment. J’ai vite ressenti le besoin de détacher la harpe de cette vision classique occidentale.
Et la harpe s’y prête très bien. Car c’est d’abord un instrument très ancien,« primitif » remontant à l’époque des grottes. Depuis le début, la harpe a été un moyen de contacter les Dieux avec un pouvoir spirituel puissant et curatif. Évoquant des couches beaucoup plus profondes en nous que l’approche parfois purement cérébrale de la musique classique occidentale. Cette façon d’aborder la harpe était très libératrice.
Pour moi, il n’y a pas vraiment de contradiction entre tradition et innovation, les deux sont organiquement liées : « la tradition est la préservation du feu, pas le culte des cendres », comme disait Mahler.
Avez-vous un rituel particulier pour vous préparer avant de monter sur scène ?
Oui, je me retire toujours un moment avant un concert. Mais je suis généralement très calme et confiante avant de commencer à jouer.
Sur scène, j’essaie de rester aussi proche de moi que possible – et de jouer pour moi et pour les Dieux – dans l’espoir que le public l’appréciera.
Comment se déroule le processus de sélection de vos collaborations artistiques et y a-t-il quelqu’un avec qui vous rêvez de travailler ?
Comme tout le monde, j’ai commencé à jouer dans des groupes, mais j’ai rapidement pris la décision d’essayer de vivre de ma musique de manière totalement indépendante – sans maisons de disques, sans producteurs et aussi en dehors du circuit classique. Les médias sociaux d’aujourd’hui permettent une approche différente de la musique et de la performance. Do it Yourself, c’est un peu ma devise – je fais tout moi-même. J’écris les textes, je compose la musique, je produis les rythmes, j’enregistre, je chante et je joue la harpe … Pour le moment c’est surtout cela ma démarche, c’est déjà beaucoup ..
Quelle place occupe la Belgique dans votre vie artistique ?
« L’harmonie est la réconciliation des contraires », dit Spinoza. Et en tant qu’être humain, nous devons apprendre cette réconciliation. Je suis pleine de contradictions. Je suis noire à l’extérieur et blanche à l’intérieur – je suis de formation classique, mais je veux faire de la musique tribale etc. Je dois apprendre à harmoniser ces opposés et à en faire une force.
C’est dommage que cela ne fonctionne pas avec la Belgique. Je vois la Belgique comme au centre de toutes les cultures européennes et qui portent toutes ces cultures dans son histoire. Mais au lieu d’en faire une force énorme, les politiciens en font un problème. Je trouve ça un peu dommage. Cela me touche aussi comme artiste. Récemment, une attachée culturelle dans une importante ambassade était complètement amoureuse de mon travail, elle voulait organiser un concert. Mais comme elle était attachée wallonne et que j’habite en Flandre, ce n’était pas possible…
Quels sont les obstacles que vous avez rencontrés en tant qu’artiste féminine dans le milieu de la musique ?
Le principal obstacle que je rencontre est que le monde de la musique (masculine ?) veut tout mettre dans des cadres rigides et des genres spécifiques – alors que moi, je vois la musique comme quelque chose d’organique, qui vit et qui – comme la vie – ne se laisse pas limiter.
Et bien sûr qu’en tant que femme, vous êtes très souvent jugée comme femme plutôt que sur votre art.
Comment percevez-vous l’évolution de la scène musicale belge depuis vos débuts ?
Je ne suis pas là depuis très longtemps, mais j’ai la nette impression que le Covid a été un point de rupture : les baby-boomers masculins qui dominaient la scène ont disparu et il y de plus en plus de place pour les femmes et pour la diversité.
Qu’est-ce qui vous inspire au-delà de la musique ?
Une de mes chansons s’appelle « Ancestors » et parle de cela. J’appelle mes ancêtres, ceux qui m’inspirent : ce sont des artistes – non seulement des musiciens, mais aussi des écrivains, des poètes, des peintres, des cinéastes, des philosophes – qui, comme moi, croient à l’amour, mais aussi plein de gens comme vous et moi qui vivent chaque jour cet amour.
Quels thèmes ou messages souhaitez-vous véhiculer à travers vos œuvres ?
Je pense que le thème principal de mon travail est le développement personnel : vouloir et oser être radicalement soi-même. Mais pas contre tous et tout le monde. Pas sans Amour.
L’Amour sous toutes ses formes: l’ amour pour soi , mais aussi l’amour pour l’Autre, pour tout ce qui vit, pour tout ce qui est. Je crois très fort dans cette énergie qui imprègne tout. Pour moi c’est une énergie très féminine, une énergie qui est porteuse de vie: tendre et sensuelle, mais aussi sexuelle et pleine de force.
Pouvez-vous nous donner un aperçu de vos projets à venir ?
Je travaille sur un nouveau spectacle avec de nouvelles chansons et une approche visuelle totalement inédite.
J’ai le sentiment que les nouvelles chansons parlent de la manière dont cette force intérieure retrouvée façonne mon regard sur le monde.
Par exemple, les temps turbulents dans lesquels nous vivons sont très souvent perçus comme apocalyptiques, comme annonçant la fin d’une époque., alors que je pense qu’on peut les voir aussi bien comme les douleurs qui annoncent une nouvelle naissance. Comme j’écris dans ma nouvelle chanson “Waiting to be born”: ‘The Old World is dying and the New World is waiting to be Born.’
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