De reine de la fête à Barbie sirène, en passant par icône de la pop : Dua Lipa incarne tous ces rôles avec brio. Mais c’est peut-être dans ses silences que l’on découvre qui elle est vraiment.
La première fois que Dua Lipa est entrée dans une boîte de nuit, elle n’était qu’une préado, et elle vivait au Kosovo. La pop star née au Royaume-Uni se rend compte que cette anecdote peut sembler absurde. Assise dans son bureau londonien, flanquée d’étagères truffées de livres, elle cherche dans son téléphone une photo de cette fameuse nuit, comme pour démontrer que ça s’est bel et bien passé. Au centre de la photo, on aperçoit une jeune Dua Lipa vêtue de crochet blanc, souriant aux côtés de sa cousine beaucoup plus grande qu’elle et d’un groupe de femmes élégantes. Les virées en boîte sont une tradition familiale chez les Lipa ; c’est pourquoi elle n’a rien perdu de sa contenance quand, un soir où elle était de sortie dans le Lower East Side avec Charli XCX, elle a croisé ses parents en train de faire la fête à The Box. « On célèbre tout et n’importe quoi, et on adore faire la fête », explique-t-elle. « Quand je vais chez ma tante, on commence par échanger des banalités… Puis on met un peu de musique, et c’est parti, la maison se transforme en dancefloor. Et ça peut très bien être un mardi ! »
Aujourd’hui âgée de 28 ans, Dua Lipa s’est depuis lors fait un nom en tant que première dame du disco en Grande-Bretagne. Sur la piste de danse, elle agit comme un oracle tout-puissant, comme une conseillère avisée pour les jeunes clubbeurs en mal d’amour, qui ont désespérément besoin des leçons qu’elle dispense dans des morceaux comme « New Rules », son tube de l’été 2017, et « Don’t Start Now », chanson d’adieu acide tirée de son deuxième album de 2020, « Future Nostalgia ».
Bien avant qu’elle écrive des tubes électro-pop féministes récoltant aujourd’hui des milliards de streams, sa famille la connaissait sous le nom de Dua, une aînée précoce ayant quitté le Kosovo à l’adolescence pour réaliser seule ses rêves de pop star à Londres. C’est à cette époque qu’elle a pleinement exploité ce qu’elle appelle sa « big sister energy », aussi bien dans la vie qu’en musique ; celle-ci se fait entendre aujourd’hui à travers l’autorité inébranlable avec laquelle elle interprète ses chansons. « C’est une vraie grande soeur », déclare l’autrice-compositrice Caroline Ailin, l’une des premières à avoir reconnu le côté visionnaire de Dua Lipa lorsqu’elles se sont rencontrées il y a près de dix ans. « À ses côtés, on peut exprimer ses sentiments, mais on se sent aussi libre et puissante. »
Maître de son destin
Dua Lipa avait annoncé la sortie de son nouvel album, « Radical Optimism », prévue pour mai. Elle a choisi ce titre après qu’un ami lui a soufflé le concept – une quête de beauté et de plaisir dans un monde par ailleurs difficile – qui semblait correspondre à son éthique, en tant que personne et en tant qu’artiste. « Cette idée m’a frappée », a-t-elle déclaré dans un communiqué de presse, « comme une manière de traverser le chaos avec grâce, en se sentant capable de résister à n’importe quelle tempête. »
Pendant qu’elle préparait son nouvel album, Dua Lipa a décidé de suivre son instinct en prenant personnellement les choses en main, au niveau de sa carrière, de sa vie amoureuse et de son image. En 2022, elle a mis fin à son partenariat de longue date avec la société de gestion et d’édition TaP Music, qui compte dans ses rangs des divas outsiders comme Lana Del Rey et Caroline Polachek. Après avoir racheté dans la foulée les droits et les masters de l’ensemble de son catalogue, Dua Lipa a engagé son père comme manager.
En 2023, elle a fait ses débuts au cinéma en tant que sirène dans le blockbuster « Barbie », et a enregistré l’hymne festif du film, « Dance the Night », nommé aux Grammy Awards. (Elle déclare à propos de cette expérience : « Enfiler une queue de poisson et s’exclamer “Bonjour, Barbie !” ne requiert aucune compétence particulière. Mais j’ai toujours adoré me déguiser.») À l’automne dernier, elle a teint ses cheveux en noir et rouge cerise, non pas pour une raison symbolique, mais « pour que, quand je ne suis pas maquillée, j’aie l’impression d’avoir fait un effort », explique-t-elle. « “Future Nostalgia” était tellement glamour et fun. Mais il n’y avait que ça : du glamour, de la couleur et des lumières. J’ai envie d’être un peu moins lisse aujourd’hui. »
En février 2024, lors des Grammy Awards, Dua Lipa a inauguré sa nouvelle ère libérée. Sur le tapis rouge, vêtue d’une robe en cotte de mailles Courrèges, ses cheveux rouges tombant en cascade sur ses épaules, elle a incarné une reine guerrière intrépide. Avant sa performance, elle a changé de tenue pour revêtir un corset de cuir noir et des manches transparentes, avant d’escalader un cube de métal avec une aisance féline. Ce soir-là, elle a présenté le single « Training Season », dernier morceau en date issu de « Radical Optimism ». Cette chanson disco enjouée, agrémentée de guitares acoustiques, de synthétiseurs et d’une batterie live, montre une Dua Lipa bravache. Elle chante « Don’t wanna have to teach you how to love me right » (« Je ne veux pas avoir à t’apprendre comment m’aimer correctement »), lançant un avertissement à tous les prétendants peu recommandables qui cherchent à lui faire perdre son temps : dorénavant, elle joue dans la cour des grands. « Quand je suis entrée en studio, cette idée m’est venue rapidement : “Training season’s over”, c’est la fin de l’entraînement, que les choses sérieuses commencent », se souvient Dua Lipa. Écrite en novembre 2022, « Training Season » se penche sur une série de dates et de relations à plus long terme, la plupart du temps orchestrés par ses amis. Dua Lipa a notamment fréquenté Anwar Hadid, le frère de Bella et Gigi, et le réalisateur français Romain Gavras. Plus récemment, elle a été aperçue en train d’embrasser l’acteur britannique Callum Turner à West Hollywood.
Pour ma part, quand j’étais célibataire, j’en profitais pleinement. Car c’est pendant cette période qu’on en apprend le plus sur soi-même
Ces derniers temps, elle évoque sa vie amoureuse indirectement, préférant glisser des allusions dans ses chansons. « S’exprimer et écrire ce qu’on ressent, c’est faire exister tout ça grâce au pouvoir des mots. Quand on sait ce qu’on vaut, on sait aussi ce qu’on veut, et ce qu’on ne veut pas », déclare-t-elle à propos de « Training Season ». « J’en parlais avec une de mes danseuses aujourd’hui, parce qu’elle traverse une rupture. Pour ma part, quand j’étais célibataire, j’en profitais pleinement. Car c’est pendant cette période qu’on en apprend le plus sur soi-même, que ce soit en allant à un date ou en passant du temps seule. C’est dans le silence qu’on découvre qui on est vraiment. » « Tant que tout le monde sait à quoi s’en tenir, tout va bien », dit-elle en haussant les épaules. « Dans l’ensemble, je faisais des recherches. »
Le super-pouvoir de Dua Lipa ? L’empathie
« Radical Optimism » a été élaboré avec une équipe de choc de coauteurs et de producteurs : Caroline Ailin, son autrice de confiance, Tobias Jesso Jr, producteur de tubes pour Adele et Harry Styles, et Danny L Harle, ancien de PC Music, qui se décrit lui-même comme un « consultant en rave party ». Grande fan des Australiens de Tame Impala, Dua Lipa a également demandé au leader du groupe Kevin Parker de rejoindre son « Wrecking Crew » personnel à Londres. « Nous l’avons baptisé The Band », précise Kevin Parker en référence à la formation qui a longtemps accompagné Bob Dylan. « Pas un groupe old school, mais une entité spirituelle. Chaque matin, en entrant dans le studio, j’avais l’impression de faire partie des Beatles ! »
Inspiré en partie par l’esprit de liberté indissociable de la culture club britannique, « Radical Optimism » s’accorde parfaitement avec le retour récent de deux reines du nu-disco qui ont fait vibrer les clubs à l’époque du passage à l’an 2000 : Kylie Minogue, qui est revenue en force l’année dernière avec « Padam Padam », et bien sûr Sophie Ellis-Bextor, dont le titre « Murder on the Dancefloor », remis au goût du jour dans le film « Saltburn », lui a permis de figurer pour la première fois au Billboard Hot 100. Dans « Radical Optimism », Dua Lipa associe instruments live et sons électroniques pour créer son propre groove. Il en résulte un disque de dance-pop cosmopolite aux accents 70’s, qui sonne comme un hymne vibrant et tonitruant à la vie. « Dua se concentrait sur la recherche de ce son, qui était si difficile à saisir », ajoute Kevin Parker. « Mais c’était agréable d’être dans les coulisses du processus créatif, plutôt que d’en être le visage. J’avais envie d’une expérience de ce genre. »
« Houdini », le premier single de l’album, est né d’une ligne de basse que Kevin Parker avait enregistrée pour lui-même, quelques semaines avant leurs sessions en studio. Dua Lipa n’a pas tardé à y apposer sa propre marque, en introduisant une mélodie post-disco mélancolique. « Elle a commencé à chanter, et tout s’est immédiatement mis en place », se souvient Kevin Parker. « Le morceau a un côté un peu débauché très typique du début des années 80, on s’imagine dans un club étrange, sombre et moite. C’est joyeusement étouffant et hypnotique. »
Caroline Ailin avait déjà travaillé avec Dua Lipa avant d’écrire, avec Emily Warren et Ian Kirkpatrick, son tube de 2017, « New Rules » – une liste dansable de ce qu’il ne faut pas faire lorsqu’un ex se manifeste. Caroline Ailin explique que les discussions sur la vie réelle sont devenues essentielles à leur processus créatif : « Nous parlons un peu de ce que nous traversons, puis nous en faisons une chanson pop. » Selon Caroline Ailin, les moments de catharsis spontanée de Dua Lipa sont ceux qui donnent naissance à ses textes les plus pénétrants ; en utilisant le contralto ferme de sa voix, elle transmet une sagesse pop qui est aussi incisive que compatissante. « C’est son super-pouvoir », précise Caroline Ailin. « Il est difficile de ne pas se sentir plus forte à ses côtés. Je pense qu’elle apporte un peu de ça à tout son public. »
Pour la bonne cause
Née à Londres en 1995, Dua Lipa est l’aînée des trois enfants d’une famille kosovare-albanaise. Ses parents ont émigré au Royaume-Uni en 1992, trois ans avant la naissance de Dua, en raison de l’instabilité politique qui régnait alors au Kosovo. Avant leur départ, le père de Dua Lipa, Dukagjin Lipa, chantait et jouait de la guitare dans un groupe de rock appelé Oda, et sa mère, Anesa, étudiait le droit. Les Lipa se sont installés dans le quartier de Camden, à Londres, et Dua a été élevée en albanais à la maison et en anglais à l’école.
Entre deux cours de chant le week-end, elle se délecte des disques de rock et de pop d’artistes tels que Stereophonics, Primal Scream, Robbie Williams et Atomic Kitten. Les classiques électroniques de Moloko et de Massive Attack l’ont également influencée lorsqu’il s’est agi de créer sa propre musique. La famille de Dua Lipa est retournée au Kosovo en 2006, alors que le pays était encore sous administration provisoire des Nations unies. Le Kosovo s’est ensuite déclaré indépendant de la Serbie voisine en 2008, devenant ainsi le plus jeune pays d’Europe.
Ce dialogue direct avec des gens qui ont vécu la guerre m’a ouvert de nouvelles perspectives
À l’adolescence, Dua Lipa a commencé à se pencher sur les histoires terrifiantes de nettoyage ethnique et de crimes de guerre commis à l’encontre des Albanais·es du Kosovo et d’autres personnes dans le monde. Cette réflexion l’a amenée à changer radicalement de point de vue et à défendre un certain nombre de valeurs, qu’il s’agisse de monter farouchement au créneau en faveur de la communauté LGBTQ+ ou d’appeler aujourd’hui à un cessez-le-feu humanitaire à Gaza. « J’ai entendu des amis au Kosovo raconter qu’ils avaient perdu des membres de leur famille. Des maisons ont brûlé. J’ai vu tout ça. Ce dialogue direct avec des gens qui ont vécu la guerre m’a ouvert de nouvelles perspectives », dit-elle. « Je me sens très proche de celle et ceux qui souffrent d’injustices dans le monde. Qu’il s’agisse de la guerre ou de la révélation de son homosexualité à sa famille, chacun·e a une expérience différente… Mais l’essentiel, c’est de s’épauler et d’apprendre ensemble. »
Malgré les bons moments passés avec ses cousins dans un Kosovo nouvellement indépendant, Dua Lipa n’avait que 15 ans lorsqu’elle est retournée à Londres, seule, pour entamer une carrière musicale. Elle a emménagé dans un appartement à Camden avec un ami albanais de la famille qui étudiait à l’université. Après avoir vu grandir ses jeunes frère et soeur, cette décision lui paraît aujourd’hui presque aussi incompréhensible que ses sorties en boîte de nuit quand elle n’était qu’une préado. « J’ai dit à mes parents : “Je ne sais pas comment vous avez pu me laisser faire ça” », confie-t-elle. « Mais je savais que j’avais plus de possibilités qu’au Kosovo. J’étais tellement déterminée. Je crois que mes parents se sont partiellement identifiés à moi, ce qui explique sans doute leur grande ouverture d’esprit et leur énorme générosité dans la confiance qu’ils m’ont accordée. »
À 17 ans, elle a obtenu son certificat d’études secondaires, puis s’est mise à travailler comme serveuse dans un restaurant pour joindre les deux bouts. Outre son éducation auprès de parents immigrés résistants, son travail dans des boîtes de nuit et des bars pendant son adolescence l’a inévitablement préparée à la misogynie et à l’exploitation qui caractérisent l’industrie de la musique dominée par les hommes.
Si elle donne l’impression de faire bien plus que son âge dans ses chansons, ce n’est pas un hasard. « Lorsque j’ai commencé à écrire des chansons, je travaillais à La Bodega Negra, un restaurant mexicain qui ressemblait à un sex-shop », se souvient-elle. « Je finissais mon travail, puis je sortais en boîte jusqu’à trois heures du matin. Ensuite, je me réveillais et j’allais au studio jusqu’à ce que je reprenne mon service à 20 h. » Après avoir grimpé dans les charts avec « New Rules » en 2017, single tiré de son premier album, et « One Kiss » avec Calvin Harris en 2018, Dua Lipa a remporté le titre de meilleure nouvelle artiste aux Grammy Awards en 2019. Elle a confirmé ce succès l’année suivante avec la sortie de son deuxième album, « Future Nostalgia », récompensé aux Grammys, qui a fuité en ligne au début de la quarantaine Covid-19, à la fin du mois de mars 2020. Pour couronner le tout, la pandémie a presque éteint la scène club. Pourtant, « Future Nostalgia » est devenu le premier album numéro un de la chanteuse au Royaume-Uni, faisant d’elle l’une des artistes féminines les plus écoutées sur Spotify, avec plus de 10 milliards de streams pour ses deux premiers albums. En décembre 2022, à la fin de sa tournée mondiale « Future Nostalgia », Dua Lipa a enfin eu le temps de souffler, pour la première fois de sa vie d’adulte.
Vacanza Queen
L’année dernière, elle s’est lancée dans de longues escapades, de la Méditerranée à l’Inde, multipliant les expériences gastronomiques avec sa famille et ses amis. Après avoir posté ses photos de vacances sur Instagram, les internautes l’ont affublée du surnom « Vacanza Queen », raillant ses interminables pérégrinations. C’était oublier un peu vite les années passées à travailler dur pour devenir une superstar de la pop. Néanmoins, ce ne sont peut-être pas seulement les photos glamour prises dans des endroits exotiques, mais aussi son efficacité en tant qu’artiste qui ont contribué à dissimuler son labeur, faisant passer ses capacités hors norme pour de la nonchalance.
Qu’il s’agisse d’un spectacle ou d’un voyage, si ce n’est pas amusant, je n’en veux pas
Or, la routine de Dua Lipa est si rigoureuse qu’elle a impressionné Kevin Parker lorsqu’ils ont travaillé ensemble à Londres. « Dua est la personne la plus ponctuelle qui soit », explique-t-il. « Pour la plupart des pop stars, il est impossible d’arriver à l’heure. Mais Dua se confond en excuses si elle a cinq minutes de retard ! (Elle est même arrivée 15 minutes à l’avance à la séance photo de huit heures pour ce magazine.) Par l’intermédiaire de sa société de médias, Service95, à travers une newsletter hebdomadaire qui s’est transformée en podcast avant de devenir un club de lecture, elle a interviewé le romancier américain d’origine afghane Khaled Hosseini et la poétesse rock Patti Smith. Elle participe également à la production de « Camden », un nouveau documentaire réalisé en collaboration avec Disney+, qui présente l’histoire de son quartier d’origine à Londres et les nombreux artistes influents qui y ont grandi, de Madness à Amy Winehouse. « Je suis occupée depuis près de dix ans », précise-t-elle. « Chaque jour, je travaille. Mais quoi qu’il en soit, les gens vont se sentir autorisés à critiquer. Ils ont beaucoup de commentaires méchants en stock. »
Et si on la traite de Vacanza Queen, elle s’en accommode. « Qu’il s’agisse d’un spectacle ou d’un voyage, si ce n’est pas amusant, je n’en veux pas », précise-telle. « Il faut faire de la place pour la joie. Le monde est peut-être en train de brûler, alors bon sang… pourquoi ne pas simplement essayer d’être heureux ? »
Équipe de production – Stylisme : Patti Wilson, Coiffure : Ali Pirzadeh @Streeters, Make-up : Sam Visser pour Ysl Beauty, Manucure : Michelle Humphrey @Lmc Worldwide, Set Design : Jabez Bartlett @Streeters, chorégraphié par Ryan Chappell, produit Par WA Productions.
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