À Paris en 2024, pour la première fois dans l’histoire des Jeux olympiques, il y aura autant d’hommes que de femmes athlètes. Une parité en apparence parfaite, vantée par les médias et les organisations sportives, mais qui, comme l’arbre et la forêt, cache de nombreuses différences de traitement sexiste, voire misogyne.

Je joue au hockey sur gazon depuis l’âge de 9 ans. J’ai eu la chance de commencer un sport qui, pour l’époque, était plutôt bien développé pour les femmes. Une foule de microévénements m’ont pourtant toujours marquée au fil des années. Pourquoi le président du club offrait uniquement sa tournée aux hommes après une victoire ? Pourquoi nous imposait-on une jupe blanche qui allait être source d’angoisse une fois par mois ? Pourquoi nous demandait-on de porter nos couilles ? Pourquoi le public s’entassait autour des terrains masculins alors que nous jouions dans la même division ? Ce n’étaient pas tant des questions que des affirmations en réalité. Le sport avait été créé par les hommes pour les hommes. Si cette réalité peut être, à un niveau amateur, acceptable, bien que difficile à justifier, qu’en est-il des sportives de haut niveau qui repoussent les limites et créent l’exploit ? Elles vivent exactement la même chose que nous, mais de façon étonnamment proportionnelle à leur talent.

Gérer ses règles en compétition

“J’ai commencé la pilule à 17 ans”, explique Olivia Borlée. “À l’époque, je me blessais à répétition, entre déchirures des ischio et rétention d’eau. On a mis un an à comprendre le lien.” La championne olympique du relais 4×100 à Pékin en 2008 a la chance d’avoir son père pour entraîneur. “À cet âge-là, tu n’es pas forcément armée pour en parler… D’autant que les coachs, les médecins et les kinés sont majoritairement des hommes.” Bien que le monde du sport commence à les aborder, le rythme hormonal et le cycle menstruel demeurent encore des choses nouvelles et mystérieuses. Un risque pour la santé, notamment lors d’une absence de règles anormale, appelée “aménorrhée de l’athlète”. Un phénomène qui toucherait près de la moitié des sportives d’élite selon une étude de l’hôpital universitaire de Berne. Mais aussi pour leurs performances. 64 % des sportives déclarent que les syndromes menstruels les diminuent. “Mais impossible de justifier une prestation décevante à cause de ses règles”, explique la spécialiste du sprint.

 

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A contrario, une “fenêtre optimale” commence à être utilisée pour adapter l’intensité et la fréquence des entraînements. “On parle de quatre phases. Certaines sont plus favorables pour travailler l’endurance, d’autres la forcent, d’autres sont à l’inverse plus propices aux blessures.” L’INSEP a d’ailleurs lancé une vaste étude à ce sujet, partant du constat que la plupart des protocoles d’entraînements des sportives avaient été développés pour les athlètes masculins. Intitulée “Empow’her”, elle vise à maximiser les performances des athlètes féminines.

Un enjeu qui touche aussi les équipementiers. En juillet 2022, en plein Euro de football, les joueuses de l’équipe d’Angleterre ont demandé à Nike de ne plus leur fournir de shorts blancs, couleur de leur tenue officielle. Leur hantise ? La tache de sang. Un an plus tôt, Adidas dévoilait un legging menstruel. La marque Wilma a quant à elle développé un cuissard menstruel pour les cyclistes, habituées à ne pas porter de sous-vêtements sous leurs cuissards.

Être moins bien payée

Une. C’est le nombre de femmes qui apparaît dans le top 50 des sportifs les mieux payés au monde en 2023. Serena Williams s’y glisse tout juste à la 49e place. Pour le reste, on estime en moyenne que les athlètes masculins professionnels gagnent 21 fois plus que leurs homologues féminines. Pour l’ex-judokate professionnelle Lola Mansour, qui lutte activement contre les discriminations et violences sexistes en milieu sportif, la longue histoire du sport a toujours relégué les disciplines féminines au rang de “sous-catégorie”. Résultat ? Les conséquences se font encore sentir aujourd’hui. “Pour beaucoup de spectateurs et spectatrices, le sport féminin est moins intéressant. Il va moins vite, est moins puissant, moins spectaculaire”, explique la double championne de Belgique dans sa catégorie (2012, 2014). Une conception erronée – pour rappel, Serena Williams sert à plus de 200km/h – largement entretenue par les médias.

 

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“Beaucoup d’études l’ont démontré. On parle de performance “stratosphérique” ou “incroyable” pour parler du sport masculin. Pour les femmes, on fera référence à leur silhouette, à leur beauté, au fait qu’elles sont mères, épouses…” Par conséquent, les compétitions féminines attirent moins de spectateurs et spectatrices, elles sont donc moins médiatisées, entraînant un désintérêt des sponsors par manque de visibilité et donc plus de précarité et de difficultés à se professionnaliser. C’est le serpent qui se mord la queue, provoquant une inégalité structurelle difficile à démanteler. “Puisqu’elles ne rapportent pas d’argent, les sportives méritent donc moins d’investissements”, continue Lola Mansour. “Cela vaut pour le sport professionnel comme amateur. Pourquoi ont-elles droit à de moins bons arbitres, à de moins bons horaires et à moins de promo ?” Pour changer les choses, elle préconise de faire évoluer nos critères de performance. Elle dénonce également les “faux quotas”. “Le 50/50, c’est bien, mais qui est aux positions de pouvoir ? On parle des prochains JO de Paris 2024 comme des Jeux de la parité, il y en aura du point de vue de la participation, mais si l’on creuse un peu, qu’en est-il du staff, de l’accompagnement médical, des journalistes ?”

Subir le harcèlement moral et physique

“On ne s’imagine pas tout ce qu’il se passe dans le sport”, avoue d’emblée Charline Van Snick. La judokate de 33 ans a gagné la médaille de bronze aux Jeux olympiques de 2012, à Londres. Au bout du rouleau, elle vient d’annoncer qu’elle mettait fin à sa carrière. “Je n’ai plus honte de dire que j’ai été victime de violences physiques, sexuelles, psychologiques et conjugales. La Fédération n’a pas compris l’ampleur du stress post-traumatique que j’ai vécu”, explique celle qui détient le plus beau palmarès du judo francophone.

En mars 2021, la Liégeoise fondait “Balance ton sport” avec Lola Mansour, dans le but de recueillir les témoignages des victimes de violences. Un sujet invisible à l’époque où elle en vivait elle-même. À 18 ans, en pleine préparation pour les JO, elle subit l’emprise de son coach. “Il s’immisçait dans ma vie privée, usait de sa force sur le tatami, on dépassait complètement le cadre de l’entraînement. J’ai lancé une procédure interne. L’Adeps a rédigé une lettre pour l’éloigner de la fédération féminine, ce qui ne l’empêchait pas de continuer à tourner autour de moi.” La judokate est catégorique, les grandes instances sportives sont actuellement “incapables de protéger les sportifs”.

Le problème, selon elle ? L’omnipotence des fédérations et de l’Adeps. “Si vous êtes en conflit avec votre hiérarchie, il n’y a pas de porte de sortie. C’est subir ou mettre fin à sa carrière.” La solution ? “Instaurer une institution indépendante avec un réel pouvoir décisionnel, avec des psychologues et des enquêtes de terrain. Il existe un observatoire de l’éthique, mais il est interne à la fédération et ne détient pas le pouvoir d’action nécessaire.” Selon cette sportive engagée, si les abus sont présents partout, le sport les a normalisés. “On nous répète depuis toujours qu’il faut souffrir pour réussir, qu’il faut se faire mal. On est habituées à pousser notre corps dans ses retranchements, à dépasser nos limites, à accepter une logique de la douleur. Et les hommes n’y échappent pas”, explique-t-elle. Une étude sidérante a dévoilé qu’en Belgique, 80 % des enfants ayant pratiqué un sport auraient déjà été victimes d’abus psychologiques ou physiques. C’est le taux le plus élevé en Europe. “À qui profite le crime ? À ceux qui sont en place et qui tiennent à leur place.”

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