Dries Van Noten. Son nom est le premier qui vient à l’esprit, même des « non-initiés », lorsqu’il s’agit de créateurs belges. À 66 ans, le designer anversois tire sa révérence dans la mode, mais trace son sillon dans l’univers parfums et beauté.

À peine clôturé, son dernier show hommes au mois de juin après 40 ans de carrière, événement à haute tension émotionnelle auquel assistaient ses amis du métier – Walter Van Beirendonck et Ann Demeulemeester, Glenn Martens et Diane von Furstenberg, Filip Arickx, Haider Ackermann, Pierpaolo Piccioli, Suzy Menkes et Loïc Prigent, liste absolument non-exhaustive – suivi d’une fête animée à l’image de son bonheur de créer, Dries Van Noten a changé de terrain de jeux, mais continue de s’exprimer. Sa patte créative – l’élégance par les contrastes d’influences et l’interprétation toujours surprenante de toutes les couleurs de chaque sentiment – devient une histoire olfactive. Les quatre nouveaux parfums qu’il a lancés cet été, saisissants et éclectiques, nous captivent par leurs essences d’agrumes et de cuir (Bitter Splash), par l’audacieux mélange de la vanille et du galbanum (Vanille Camouflage), par la douceur sensuelle de la camomille et de la vanille encore (Camomille Satin), et par la sophistication presque tactile du basilic et du cèdre (Crazy Basil). Si Dries quitte la mode, sa subversion visionnaire nous colle toujours à la peau. Par chance, il n’y a pas de répit pour les poètes.

Dries Van Noten

Dries Van Noten SS25 © Launchmetrics Spotlight

Comment allez-vous depuis votre dernier défilé, le 22 juin dernier ?

Je suis très heureux. C’était la bonne décision à prendre, même si bien sûr, elle s’est accompagnée de montagnes russes émotionnelles. J’ai reçu des réactions incroyables d’absolument toutes parts, notamment des centaines de messages qui m’ont fait très chaud au cœur. J’avais pris cette décision il y a longtemps, elle me semble aujourd’hui plus juste que jamais. Je sais que la marque est entre de bonnes mains, l’équipe que j’ai composée est formidable et poursuivra le travail dans une direction qui est déjà très excitante. Je resterai impliqué, mais juste assez. Il est vraiment précieux que j’aie pu décider de la façon dont j’allais partir.

Qu’est-ce que ça fait de retrouver votre temps à vous ?

Je n’en suis pas encore là puisque je reste partie prenante dans la marque. Il me reste beaucoup de choses à organiser, mais reposez-moi la question dans deux ou trois mois !

Le lancement en août de vos quatre nouveaux parfums a signé votre premier geste créatif après la mode. Leur composition porte-t-elle un sens particulier ?

J’adore travailler sur les parfums et la beauté, et je continuerai à le faire. Je trouve tant de joie à repousser des limites, à les briser même, à explorer des combinaisons d’éléments, à échanger avec des nez, à réfléchir avec eux à ce qu’on peut faire pour créer une différence. Je voulais cultiver une impression forte. Nous avons lancé Dries Van Noten Parfums il y a deux ans, mais le processus avait été initié en 2019. Rapidement, nous avons expérimenté des mélanges inattendus, créé des nuances, recherché des formulations étranges, pour obtenir des notes plus présentes qui clashent avec d’autres senteurs prégnantes. Dans le parfum « Vanille Camouflage » la vanille est extrêmement présente car en réalité, il y en a deux sortes. De même dans la formule de « Crazy Basil », le basilic est sauvage, à vif. C’est réellement fantastique de pouvoir jouer comme ça avec les éléments.

 

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Comment allez-vous continuer à distiller votre vision de la beauté ?

Le parfum et tout le projet « Beauty » de façon générale constituent l’essence de la marque Dries Van Noten. C’est un ensemble de compositions harmonieuses qui mène à la confrontation de combinaisons. La première chose que j’ai faite avec les nez qui ont travaillé sur mes parfums, c’est de les emmener marcher dans mon jardin.  Je leur ai montré la façon dont je combine les plantes, parfois à contre-courant des règles du jardinage et je leur ai montré comment pour moi, en toutes choses, des associations non conventionnelles pouvaient aboutir à des résultats plus intéressants. Je leur ai fait visiter mes parterres de roses, expliqué que je rêvais d’une collection de parfums extraits de ces fleurs, mais pas de la manière dont ils sont généralement interprétés, à savoir doux et poudrés. Nous étions en octobre, il avait beaucoup plu et c’était la fin de la saison, certaines étaient abîmées, mouchetées de taches sombres, je leur ai dit que c’est quand les roses ont vécu qu’elles m’intéressent. Ce sont aussi des fleurs qui peuvent blesser. Je le sais bien, puisque je jardine beaucoup. La rose est un symbole de révolution autant qu’il est celui de l’amour, et ce n’est pas anodin. J’aime qu’elle puisse multiplier les perceptions.

Votre jardin va-t-il évoluer en fonction de votre collection de parfums ?

Tout ce que je veux, c’est continuer à être créatif. Ce n’est pas parce que j’ai arrêté la mode que ma créativité a été mise sur stop. C’est une façon de vivre, de regarder le monde, de se poser des questions. Quand je cuisine, quand je dispose de la nourriture sur un plat, c’est un acte de créativité. Je fonctionne de la même manière pour la mode et pour mon jardin.

Dries Van Noten

© Presse

Quelle part de votre sensibilité mettez-vous dans vos flacons ?

Pour moi, à la fois la mode et les défilés sont un moyen de raconter une histoire. C’est pareil pour mes parfums. J’ai été très heureux de pouvoir les habiller, de leur composer une tenue en créant leurs bouteilles. C’est un double geste, d’inventer à la fois un jus et son contenant. J’ai choisi les tons du verre, sa densité, sa sensorialité, son écoresponsabilité. J’ai étudié l’accord de la couleur des parfums avec la transparence des flacons, en observant même l’évolution quand ils se vident. Dans leur partie inférieure, nous avons joué avec la porcelaine, le métal et le bois, nous avons sollicité des savoir-faire extraordinaires.

Racontez-vous de la même façon vos histoires de corps et vos histoires de peau ?

Les parfums sont magiques et uniques, d’abord parce qu’ils réagissent différemment avec chaque peau. Lors d’un défilé de mode, on présente les vêtements sur des mannequins, dans la taille parfaite, mais la perception va dépendre de la manière dont ces mannequins marchent et incarnent les pièces. Un parfum est lié aux ingrédients que l’on sélectionne, à l’équilibre des dosages, aux harmonies. Et le ressenti change en fonction de la peau de chacun. J’aime l’idée qu’avec un parfum on puisse être narratif, qu’on ait la liberté d’être énigmatique ou de se dévoiler. Pour moi, la mode reste un moyen de s’exprimer, de se raconter, et le parfum permet la même communication avec les autres, ce qui est merveilleux. On peut se cacher derrière un vêtement, mais on pourra toujours lire qui est vraiment la personne. Le parfum offre plus de mystère, il sollicite des sens différents, et c’est ce qui m’intéresse comme point de départ.

Comment vous projetez-vous dans votre nouveau quotidien ?

Il est un peu tôt pour se projeter, parce qu’avec mon partenaire, nous en sommes encore à réaliser ce que cela signifie pour nous-mêmes. Nous devons réfléchir, nous interroger sur nos priorités. Bien sûr avant de prendre cette décision, nous avons rêvé à beaucoup de choses. Nous savons déjà que nous allons passer plus de temps dans notre maison en Italie. Et je vais lire aussi : toute ma vie, j’ai acheté des livres, j’ai une très grande bibliothèque, mais je n’ai jamais eu le temps d’ouvrir la plupart de ces ouvrages. Si par hasard je me découvre enfin du temps, je saurai quoi en faire !

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