“Climate change is sexist”, c’est le nouveau slogan de CARE Belgium, association humanitaire qui lutte contre la pauvreté et les inégalités dans le monde. Le 26 novembre prochain à 14h, ils organiseront un grand talk autour du sujet au Cinéma Flagey à Bruxelles. L’occasion pour nous de discuter avec Marie Leroy, experte climat chez CARE, sur la problématique qui se cache derrière ce titre volontairement catchy.
En quoi le changement climatique est-il sexiste ?
Marie Leroy : Le lien entre genre et climat est un phénomène encore peu connu. Le changement climatique ne va pas impacter tout le monde de la même manière selon la partie du monde où l’on se trouve. Lorsqu’une catastrophe naturelle se déploie dans un pays insulaire ou qu’une sécheresse prolongée attaque l’Afrique subsaharienne, ce sont les femmes et les filles qui vont porter le poids de la crise climatique. En effet, ce sont elles qui vont collecter l’eau et le bois la plupart du temps. Dans un contexte où les richesses naturelles se raréfient, elles doivent se déplacer toujours plus longtemps et plus loin. Au Soudan, lors de grandes sécheresses, elles marchent parfois jusqu’à sept heures par jour. Ce qui aura des impacts multiples sur leur vie, car elles ne peuvent plus consacrer ce temps à autre chose, comme à se former. De plus, les risques de violences et d’agressions augmentent, car elles seront seules et éloignées de leur communauté plus loin et plus longtemps.
En outre, de plus en plus d’études montrent que les femmes sont davantage victimes de catastrophes naturelles. S’il y a par exemple une inondation massive où les personnes doivent fuir, les femmes seront davantage laissées pour compte. D’abord parce qu’elles savent moins nager que les hommes dans beaucoup de pays, ensuite parce qu’elles sont souvent responsables des enfants en bas-âge et des personnes âgées. Le taux d’éducation étant moindre, elles n’ont pas non plus accès à toutes les informations sur les voies d’évacuation et autres.
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On parle aussi d’une augmentation des mariages forcés ?
Oui. +50%, c’est l’augmentation des mariages de filles de 11 à 14 ans lors d’une vague de chaleur de plus de trente jours au Bangladesh. En cause ? Les familles qui n’ont plus de nourriture marient leurs filles pour avoir une bouche en moins à nourrir. On déscolarise aussi les filles, dont on considère l’éducation comme moins importante que celle des garçons, pour obtenir davantage de main d’oeuvre dans les champs et générer un revenu supplémentaire.
Quels sont les pays concernés ?
Cela représente majoritairement les pays de l’Hémisphère sud, à faible revenu ou à revenu intermédiaire. Ce sont généralement les populations des pays en voie de développement qui sont les plus impactées alors qu’elles sont responsables de seulement 7% des émissions mondiales de CO2. Il y a donc une double injustice pour les femmes des pays du Sud. Tout le monde est impacté par le changement climatique, que l’on soit un homme ou une femme, mais on le sera d’autant plus selon son âge, son statut marital, son origine… C’est comme s’il y avait une forme de “hiérarchie”, avec tout en bas les femmes issues de minorités ethniques. C’est ce qu’on appelle la perspective intersectionnelle.
Quid de la représentation des femmes dans les négociations sur le climat ?
La première question que l’on peut se poser est : où en est la participation des femmes dans les instances décisionnelles sur le climat ? Le fait que les femmes soient impliquées dans le processus décisionnel n’est qu’une question de droit humain, vu qu’elles représentent la moitié de l’humanité. Mais on constate également que lorsque les femmes sont impliquées dans les prises de décisions, ces décisions sont plus ambitieuses sur les questions climatiques. Les études le prouvent, dans les parlements où il y a plus de femmes, il y a plus de chance de voir des traités environnementaux ratifiés. Or, elles sont largement exclues sur le plan local et international. Chaque année, on a droit à cette fameuse photo de la COP. Pour la COP29, on comptait 8 femmes sur 78 leaders.
Les études prouvent également que dans les espaces où la parité est respectée, les femmes n’influencent pas équitablement les décisions. Donc même lorsqu’elles sont présentes, on ne prend pas leur avis en compte. Il faut évidemment promouvoir les politiques de quota et de parité, mais elles ne sont pas suffisantes.
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Ce sont pourtant elles qui innovent dans le domaine ?
Vu que les femmes sont les plus impactées, elles sont obligées de faire face et d’innover. Souvent privées de ressources et de financements, elles font avec les moyens du bord et inventent des solutions low-tech, efficaces sans nécessiter forcément beaucoup de ressources. Leurs solutions pourraient donc être extrêmement utiles au changement, mais elles ne sont pas considérées. Certaines femmes de tribus autochtones possèdent un rapport à la terre et à la nature très fort, qu’elles traitent sans polluer grâce à leurs connaissances ancestrales. Mais ces traditions se perdent car elles sont le plus souvent mises en conflit avec les connaissances scientifiques et les solutions technologiques.
Elles développent par exemple des semences anciennes dont certaines seront plus résistantes pendant les périodes de sécheresse ou d’inondation. Elles reforestent pour faire en sorte que le sol capte mieux les eaux de pluie. Et si, au lieu d’innover pour faire face au changement climatique, on revenait plutôt à des pratiques anciennes ?
Quelles stratégies climatiques mettre en place pour éviter ce sexisme ?
Il faut travailler sur 3 niveaux. Le premier : le renforcement des compétences. Il y a beaucoup d’initiatives et de projets qui visent à renforcer les compétences des femmes. On peut faire du financement, de la formation, créer des espaces de mise en commun entre femmes pour qu’elles partagent leurs compétences. En Asie et en Amérique latine, les écoles d’agroécologie forment à des techniques agricoles résiliantes, aident à la compréhension du réchauffement climatique et développent les compétences de plaidoyer, mais ce n’est pas suffisant.
Mais ce n’est pas suffisant. Si on ne fait que ça, cela donne l’impression que ce sont les femmes qui ont toujours toute la responsabilité. Il faut non seulement renforcer les compétences des femmes, mais aussi faire bouger les politiques publiques. Dans certains pays, les femmes ne peuvent pas être propriétaires de champs agricoles, elles n’ont pas accès aux matériaux ni aux financements. Il faut faire en sorte que les politiques climatiques évoluent, cela passe par l’accès à la terre, le développement des financements internationaux vers des groupes créés pour les femmes moins aptes à répondre aux appels à projet, ou encore l’intégration d’objectifs de genre dans les politiques climatiques et inversement.
Troisièmement, il faut faire évoluer les normes et préjugés sexistes. Il faut travailler avec l’ensemble des hommes et des garçons, créer des espaces de dialogue entre maris et femmes pour sensibiliser à ces enjeux, mais aussi identifier des leaders d’influence parmi les hommes pour sensibiliser leurs pairs.
“Climate Change is Sexist”, ce mardi 26 novembre 2024 à partir de 14h (conférence puis film) au Cinéma Flagey. Pour s’inscrire, rendez-vous sur le site de l’événement.
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